Problèmes cliniques et métapsychologiques du syndrome de l’X fragile (1)
19 mai 2025La Relation en clinique psychiatrique.
Chimiothérapie et psychothérapie
Cet article éclaire la possibilité, en pratique psychiatrique, d’articuler psychothérapie dynamique et prescription médicamenteuse : un des premiers jalons d’une psychiatrie résolument relationnelle. S’appuyant sur la pensée de Sami Ali, l’auteur réhabilite le rêve, non plus comme matériau à déchiffrer, mais comme espace partagé où se rencontrent deux subjectivités, celle du patient et celle du clinicien. Cette inflexion demeure fidèle à l’héritage freudien tout en le détournant du primat exclusif du désir et de son refoulement — position que d’aucuns jugeront hérétique. Sur le plan des neurosciences, nous savons maintenant que le sommeil paradoxal accompagne certains type de rêve. la corrélation "biologique" appartient tout autant à un réseau cérébral distribué. Mais des apports récents semble lié le rêve au système dopaminergique du désir!.
Le cadre théorique ainsi proposé reste discutable, mais il accompagne d'une certaine façon: une "rencontre" celle des remaniements contemporains de la psychanalyse, stimulés par une compréhension affinée du contre-transfert et de ses usages thérapeutiques; ce dont le concept d'enactment véritable prise en compte d'une transubjectivité entre le patient et son psychanalyste
Mais laissons la place à l'article et à son auteur!!!
L’articulation entre chimiothérapie et psychothérapie infiltre le quotidien du psychiatre au point d’être une spécificité de son exercice.
Pourtant, leur association fait débat et l’une à l’autre sont souvent séparées, voire opposées. Bien avant la psychiatrie, la médecine au fil des siècles a discuté de ce point d’équilibre entre la prescription et la façon de prescrire.
La passion des médecins pour la théorie, comme celle qu’ils suscitent autour d’eux, tombe un peu aujourd’hui, époque du primat de la connaissance, de l’économie, des coûts de santé, du juridique. Les médecins revendiquent même, comme n’importe quel autre corps de métier, et sont dans la rue face aux compagnies républicaines de sécurité armées et casquées.
La psychiatrie bénéficie du progrès de la médecine, et est séduite par ses avancées scientifiques qui peuvent faire espérer le savoir absolu au risque de la méconnaissance de la dimension relationnelle.
Les progrès indéniables de la connaissance dans les domaines biologiques et psychologiques poussent le psychiatre à chercher de nouveaux repères au-delà du seul débat nosographique. Avec les moyens thérapeutiques, les concepts évoluent, ce qui suscite de multiples questions. Quelle place pour la psychiatrie dans le champ des neurosciences ? Quelles limites pour la théorie psychanalytique, au-delà du domaine de la psychonévrose ?
Quelle validité des thérapies centrées sur les symptômes, les comportements, les cognitions qui, critère suprême, évaluent leur efficacité grâce à des échelles ? Y a-t-il encore une place pour le sujet, les histoires individuelles de cas ?
La psychiatrie se doit de valider ses pratiques, mais les recherches portant sur l’évaluation des psychothérapies sont souvent critiquées. On leur reproche leur fiabilité, leur cohérence et leur exploitation difficile.
Escande souligne la complexité de ce problème, comme l’hétérogénéité des effets psychiques de la psychopharmacologie et de la psychothérapie. Ces deux pratiques s’appuient sur des croyances et des modes de pensée clinique et théorique très différents. La chimiothérapie s’appuie sur le raisonnement médical, biologique et scientifique, alors que la psychothérapie engage davantage la personnalité, la manière d’être et de communiquer du praticien.
Plusieurs études viennent démontrer une évidence que l’on redécouvre : les meilleurs résultats sont obtenus en clinique quand est privilégiée l’association chimiothérapie et psychothérapie.
Ces publications s’appuient sur l’approche biopsychosociale, probable réaction outre-Atlantique à la pensée psychanalytique affirmant incompatible prescription médicamenteuse et psychothérapie. Nous ne reviendrons pas sur l’or pur de la psychanalyse, ni sur les excès quand une approche vise à exclure l’autre.
En 1993, Luborsky et coll. conduisent une méta-analyse de treize études comparant les effets des thérapies psychodynamiques à ceux d’autres formes de thérapie.
Si toutes les formes de thérapie avaient des issues équivalentes, l’association chimiothérapie et psychothérapie était nettement supérieure aux effets de la seule psychothérapie ou pharmacothérapie. L’auteur note les affections où l’efficacité de cette association est la plus spectaculaire : la prise en charge des schizophrènes, des états dépressifs majeurs d’évolu- tion chronique. Des études randomisées (en 1999 sur 107 personnes âgées déprimées) comparant les effets d’un antidépresseur seul (gr 1), du pla- cebo seul (gr 2), d’un entretien mensuel PIP et antidépresseur (gr 3), et d’un entretien mensuel PIP et placebo (gr 4), montrent sur un recul de trois ans une récurrence de 20 % dans le groupe 3, contre 43 % dans le groupe 1 et 64 % dans le groupe 4. Ces effets positifs de l’association de psychothérapie au sens large et de chimiothérapie sont démontrés dans d’autres troubles de l’axe I du D.S.M. IV : les attaques de panique, les phobies, les phobies sociales, la boulimie... Ces études soulèvent nombre de questions, peuvent procéder d’une confusion, mais elles valident notre subjectivité clinique. Comme pour la prise en charge des schizophrènes, le facteur thérapeutique le plus déterminant de l’évolution favorable est basé sur la qualité de l’alliance thérapeutique, indépendamment de la technique psychothérapeutique utilisée. Celle-ci inclut la continuité de la chimiothérapie inscrite dans une relation thérapeutique.
Cette évidence soulignée conduit à une deuxième question plus polémique. Cette association doit-elle se conduire par un seul, deux ou plusieurs thérapeutes ? G.O. Gabbard conclut que le psychiatre biopsy- chosocial, dans le « one person treatment model », doit être conceptuellement bilingue pour intégrer le subjectif de la souffrance psychique et l’objectif du dysfonctionnement cérébral.
Comment penser le « psychique » autrement que selone modèle de la pathologie organique, surtout depuis que nous avons la capacité de réduire le symptôme psychique à sa dimension neurobiologique, en le modifiant par une prescription pharmacologique ? Ce problème concerne l’ensemble de la médecine qui doit déterminer si la thérapeutique concerne la maladie ou le malade.
L’idée communément répandue de la séparation entre les thérapeutes peut être préjudiciable au patient, même dans l’idéal où les deux thérapeutes se tiennent dans une estime mutuelle. En effet, les aspects transférentiels de la prescription médicamenteuse risquent d’être méconnus, un thérapeute privilégié par rapport à l’autre. Qui sera concerné devant une aggravation, un risque suicidaire, une somatisation ? Lequel est consulté en urgence, quelles différences dans les engagements relaionnels... ? Les limites tiennent pour la plupart aux différences qui peuvent exister entre le chimiothérapeute et le psychothérapeute, ainsi que sur la nature de leurs rapports. Ces différences concernent les objectifs thérapeutiques, techniques ou de vie, l’approche clinique, théorique ou idéologique du fonctionnement mental, mais aussi l’investissement positif et négatif (Goldsmith et al., 1999) du médicament par le psychothérapeute. Une dimension, latérale à notre propos, est le moindre coût du recours à un seul thérapeute, démontré par des études médico-économiques américaines.
Pour ces auteurs, un consensus se dégage sur les indications d’une co-thérapie. Kaplan & Saddock établissent une liste de situations ou de pathologies qui impliquent la nécessité d’une cothérapie conduite par le même clinicien expérimenté.
A contrario, d’autres auteurs, avec M. Escande, donnent les indications qui pourraient bénéficier d’une bi-thérapie menée par deux thérapeutes différents. Chacun en souligne les avantages et les limites, mais pour la plupart, ces indications sont les mêmes.
En conclusion sur ces travaux, nous citerons les critiques de Luhrmann, sur la psychiatrie américaine :
« Quand les médicaments prennent la place de la relation, non seulement les patients souffrent des effets latéraux de médicaments agressifs, mais ils perdent le pouvoir curatif de la relation. » Au sujet de la formation à la psychothérapie, elle souligne l’importance de la relation entre le médecin et son patient et l’importance de comprendre cette relation dans sa profondeur. Cette relation peut être intégralement liée à la « capacité d’un patient de réagir au traitement, de se sentir soulagé, pour faire confiance à son médecin et ainsi prendre le médicament qui lui est prescrit, et savoir dans des moments de détresse ou de violence qu’il y a un endroit sûr où aller ».
Un accord se dégage de ce débat : l’efficacité thérapeutique est liée à la qualité de la relation établie. Cette divergence, entre bi-thérapeutes ou thérapeute unique, nous semble liée à l’idée que la pathologie guide toujours l’attitude clinique. Considérer que le point de départ n’est plus la maladie mais la relation permet une réflexion radicalement différente.
Notre intérêt pour la psychosomatique, c’est-à-dire pour la prise en compte de la pathologie organique de nos patients, modifie notre pratique, à condition de considérer, avec Sami-Ali, que la pathologie en général est un « processus psychosomatique soumis à un principe de variabilité tel que le psychique alterne avec le somatique et inversement ». Ainsi, nous adoptons une autre attitude vis-à-vis de la nosographie, repérons la pathologie de l’adaptation, et avons une lecture différente des « études sur l’hystérie » de S. Freud où la pathologie organique et la pathologie psychotique de ses patientes sont simplement citées, sans lien, à côté de leur névrose.
L’intérêt porte sur le patient et non sur les seuls processus psychiques. Très vite, nous avons conscience du paradoxe de notre capacité à modifier la symptomatologie psychique, la subjectivité par une simple prescription médicamenteuse, une consigne, voire l’électricité. Nier cette objectivité réduit l’effet de ces thérapeutiques à la dimension transérentielle, comme le fait P. Fedida ou à l’effet placebo. La reconnaître introduit la dimension biologique du psychique et psychique du biologique. L’économie de cette réflexion peut conduire les médecins et leurs patients dans une situation conflictuelle qui peut avoir tout de l’impasse.
Le choix du seul traitement biologique réduit le psychique au somatique, et celui du seul abord psychologique fait l’inverse.
Le psychiatre intègre la contradiction de traiter une symptomatologie en la considérant comme un ensemble de troubles neurobiologiques, alors qu’elle peut être mise en rapport avec une souffrance psychique souvent liée à une situation de conflit, à des émotions, à une subjectivité.
Ce travail thérapeutique autour de la contradiction permet une pratique différente en rupture avec une attitude antérieure fondée sur l’idéal de la séparation de la thérapeutique en psychique et biologique, imposant deux thérapeutes, le psychothérapeute et le « chimiatre » au seul malade.
Cette position n’est ni dogmatique ni absolue. Par contre, ma première démarche n’est pas d’évaluer le pathologique pour le ramener au normal, mais de repérer immédiatement la relation du sujet à l’imaginaire.
Sami Ali définit l’imaginaire comme une fonction, essentiellement représentée par le rêve, mais aussi par les formes diurnes du rêve : l’affect, le transfert, le délire, le fantasme, la rêverie, la croyance, le jeu... Le fonctionnement psychique est déterminé en référence à la vie onirique, selon la présence ou l’absence, l’oubli ou le souvenir des rêves ; le rêve constituant le phénomène fondamental pour penser l’articulation entre le psychique et le somatique. En effet, le rêve est enraciné dans le somatique car il est porté par un rythme qui précède la naissance et se modifie après celle-ci. Rapprocher rêve et sommeil paradoxal aide à mieux comprendre la complé- mentarité permanente entre le subjectif et l’objectif. Le rêve est la subjectivité même, car il est avant tout un phénomène de mémoire. La mémoire est sélective, intimement liée à l’oubli, ce qu’il faut ramener au fonctionnement global du sujet. Ainsi Sami Ali définit la conscience vigile et la conscience onirique qui ont entre elles une double relation d’inclusion et d’exclusion réciproques ; relation en perpétuel équilibre qui peut aller jusqu’à la suppression de l’une ou de l’autre. C’est cet équilibre qu’il faut interroger pour comprendre la pathologie humaine, y compris la pathologie organique. Nous sommes assez loin de la seule question du désir, comme moteur du rêve. Le rêve ancré dans le somatique, phénomène de rythme, est porté par la projection, fonctionnement propre de l’activité cérébrale lors de l’élaboration du rêve. C’est cette activité projective qui fonde la fonction de l’imaginaire, qui ne se réduit toutefois pas au rêve nocturne. L’affect a partie liée avec l’activité onirique, et est un équivalent du rêve. L’affect appartient à l’imaginaire, qui est de nature corporelle car il se constitue par la projection du corps propre comme schéma de représentation.
L’affect a partie liée avec la langue maternelle, celle des premiers échanges avec le monde. L’apprentissage des affects est le même que celui de la langue maternelle. Cette découverte permet de constater, contrairement à la théorie freudienne, que l’affect, comme la représentation, peut être l’objet d’un refoulement.
Toutefois, ce fonctionnement doit toujours être appréhendé en fonction de la situation conflictuelle dans laquelle le sujet est pris. Il n’existe pas de processus internes, envisagés comme une quantité d’excitation, sans qu’il n’existe de relation à l’autre, et sans tenir compte de la signification que recouvre cette relation pour le sujet. Mais cette relation n’est pas qu’une relation d’objet.
La théorie relationnelle définit la relation, d’une part par le fonctionnement psychique du sujet dans son rapport avec l’imaginaire, et d’autre part par la situation conflictuelle.
Nous savons que la plupart des psychotropes modifient l’architecture du sommeil et agissent de surcroît sur le sommeil paradoxal, siège de l’activité onirique. Toute prescription peut favoriser le refoulement en supprimant la symptomatologie, souvent source d’une souffrance psychique. Elle renforce aussi l’oubli des rêves en agissant réellement sur la suppression des rêves, par suppression du sommeil paradoxal. La prescription, intégrée à la relation, intervient comme un tiers qui peut modifier le fonctionnement, entendu dans son rapport à l’imaginaire, et ainsi favoriser ou non le refoulement. Cette action renforce la variabilité symptomatique, portée par la relation thérapeutique, qu’il convient toujours de rapprocher de la situation, à considérer sous l’angle du conflit ou de l’impasse.
L’article se clôt sur l’analyse d’un cas clinique qui illustre la mise en œuvre de cette approche intégrative. Pour des raisons de confidentialité et dans le respect des principes déontologiques encadrant la pratique médicale, ce cas ne peut être reproduit ici, mais il constitue un exemple significatif de l’articulation entre écoute psychique, usage du médicament et attention portée à l’imaginaire du sujet.
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La relation en clinique psychiatrique. Chimiothérapie et psychothérapie :
L’articulation de la chimiothérapie et de la psychothérapie est au cœur de la pratique du psychiatre. Plusieurs études montrent un consensus :
l’efficacité supérieure de l’association chimiothérapie et psychothérapie dans le traitement des pathologies mentales en général. Mais cette
découverte ne dit pas si cette association doit être menée par un seul ou par deux thérapeutes. L’auteur, à partir de sa pratique psychiatrique et
d’une recherche sur les liens entre le psychique et la pathologie organique montre comment les thérapeutiques pharmacologiques et
psychologiques s’inscrivent non pas dans une relation d’exclusion, mais a contrario dans une relation d’inclusion réciproque. La théorie relationnelle
élaborée par Sami Ali, aide à penser ce problème en montrant le primat de la relation et non plus du transfert. Le thérapeute ne s’intéresse plus au
seul fonctionnement psy- chique de son patient, mais tient toujours compte de la situation particulière dans laquelle se noue le conflit, ce qui donne
à la réalité et à la subjectivité une autre place.
Mots-clés : Thérapeute, Psychique et somatique, Réel et imaginaire, Situation d’impasse, Conscience vigile et conscience onirique, Refoule- ment,
Projection.
Maurice BENSOUSSAN
Psychiatre, Rés. Plein Centre, 11 allée du Périgord, 31770 Colomiers