Infiltration de l’idéologie « positive » dans la politique d’accueil de la petite enfance

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Infiltration de l’idéologie « positive »

dans la politique d’accueil de la petite enfance

 

Caroline Eliacheff et Céline Masson

 

Que penser du  « Référentiel national de la qualité d’accueil du jeune enfant »[1] récemment édité (juillet 2025) par le Service public de la petite enfance (dépendant du Ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles) ?  Ce guide met noir sur blanc les principes réglementaires applicables aux structures d’accueil françaises de la petite enfance.  Piloté par l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), un nombre considérable d’intervenants ont été sollicités, tellement considérable qu’on peut s’interroger sur la façon dont ils ont été consultés et quels ont été leurs liens avec le comité scientifique qui, lui, n’inclue curieusement aucun pédopsychiatre. Ce référentiel traduit ce vers quoi devrait tendre une crèche idéale dans la relation au jeune enfant, dans la relation avec les parents et pour sa qualité organisationnelle. Mais il traduit aussi une certaine vision de l’enfant et la façon dont il doit être traité. Par certains aspects, cette vision relève d’une psychologie positive dévoyée.

 Où reconnaît-on le courant idéologique « positif » dans ce référentiel? Dans une dizaine de passages dont voici quelques exemples :

 « Lorsque les enfants expriment des émotions fortes (colère vive, joie intense…), ils (le personnel) les accompagnent et les sécurisent sans chercher à empêcher l’expression de ces émotions. »

« Quelle que soit l’émotion qui anime l’enfant (joie, peur, colère, agacement, tristesse...), son expression est favorisée par l’adulte et non empêchée. »

 Si les enfants doivent être encouragés à mettre en mots des affects potentiellement traumatiques (avoir assisté à une scène violente, par exemple), est-il éducatif de les encourager à exprimer sans nuance leurs émotions même s’il s’agit de désirs capricieux d’emprise (posséder le jouet de l’autre, par exemple) ou des poussées pulsionnelles agressives (crier dans les oreilles des copains, les pousser ou les mordre, pour voir l’effet que cela produit) ? Jamais on ne trouve introduit l’exigence de limites éducatives.

 

Autre exemple : « La proximité de l’adulte est particulièrement nécessaire lors des périodes de vive émotion, comme la colère, pour sécuriser l’enfant par la parole, le regard et les gestes. La régulation des émotions viendra progressivement chez l’enfant notamment par imitation des adultes, d’où l’importance pour les adultes de travailler sur la régulation de leurs propres émotions. »

 S’il appelait une limite (comme le fait tout enfant sain), cette proximité tendre maintenue par l’adulte risque au contraire de le faire flamber.

Demander aux adultes de « prendre sur eux », contenir la frustration d’entendre dix enfants hurler et sauter sur leurs camarades en espérant que leur attitude stoïque donnera lieu à une accalmie au long cours, est inepte. Cela va au contraire laisser l’excitation de leurs pairs prendre tout l’espace de la collectivité, leur signifier que les adultes ne contrôlent aucune poussée pulsionnelle, ne protègent personne, et les insécuriser massivement. En effet, puisque « Les professionnels ne posent pas comme objectif la discipline ou la « maîtrise » des enfants, ou d’établir le calme : ces objectifs ne répondent ni aux besoins ni aux capacités d’un enfant de moins de 3 ans. ».

 Doit-on considérer que tout enfant transgressif ou agressif est incapable d’être éduqué par des interactions contenantes avec l’adulte parce que son cerveau ne le lui permettrait pas ? Les auxiliaires n’auront plus le droit de réagir à cette agressivité « de façon négative » et auront encore moins le droit de sanctionner l’enfant en le mettant à l’écart du groupe : « Lorsque l’enfant exprime des émotions désagréables fortes, les professionnels ne lui disent pas de se calmer, ne minimisent pas ses émotions (« ce n’est pas grave ») », « ils ne régulent pas les conflits entre enfants de manière punitive et ne formulent pas de reproche vis-à-vis de l’enfant qui initie le conflit », « les conflits ne sont pas gérés de manière stricte et punitive, cette attitude est proscrite par la loi » sans précision ni de la nature ni de l’intensité du conflit ou de la punition, ni d’ailleurs de quelle loi il s’agit. 

Au lieu de cela, les auxiliaires devront encourager toute expression pulsionnelle chez chacun des enfants : « L’expression des émotions ne fait pas l’objet d’interdits : par exemple, la colère peut s’exprimer par des cris, des objets jetés… l’enfant doit pouvoir exprimer cette colère ». Ici, comme dans la littérature « positive », émotions et pulsions sont confondues. Or, si les émotions peuvent être mises en mots, les pulsions (d’emprise ou agressives), elles, doivent être contenues par l’adulte. 

« Si l’enfant continue néanmoins d’être agressif, y compris à deux ou trois ans, l’une des éducatrices devra l’emmener dans un lieu extérieur pour nouer un lien privilégié chaleureux en échangeant verbalement avec lui et en lui proposant ses bras. » L’agressivité infantile, pourtant inhérente à tout développement psycho-affectif sain ne sera pas perçue pour ce qu’elle est le plus souvent : une simple recherche de limites éducatives. Au contraire, la transgression donnera lieu à des privilèges.

N’est-il pas choquant voire irresponsable au regard des connaissances scientifiques sur le développement de l’enfant (et du simple bon sens) que « l’éducation positive dévoyée » devienne la norme dans les crèches françaises ?

C’est ce que dénonce une tribune publiée dans Le Point[2] signée à ce jour par plus de 800 personnes. Grâce à elle, les professionnels de la petite enfance savent qu’il n’y a pas qu’une seule manière, celle développée dans le référentiel, de penser les comportements des enfants et la réponse à y apporter sans violence. Et comme ces usagers sont engagés à donner leur avis à l’adresse nationale du service public de la petite enfance (sppe@sante.gouv.fr), nous espérons qu’assez rapidement, les injonctions les plus problématiques soient révisées à la lumière de leur expérience.

[1] https://solidarites.gouv.fr/sites/solidarite/files/2025-07/Referentiel-national-qualite-accueil-jeune-enfant-2025.pdf

[2] https://www.lepoint.fr/societe/stop-a-l-infiltration-de-l-ideologie-positive-dans-le-secteur-de-la-petite-enfance-20-08-2025-2596672_23.php

 

 

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