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7 octobre 2025Modèle exemple XXXX
20 octobre 2025L’invalidation traumatique :
« Un concept de grande valeur pour la clinique et le social"
Vous allez écouter quatre podcasts d’un article traduit de l’américain par Céline Masson (Université de Picardie Jules Verne, psychanalyste, directrice du RRA), avec la relecture de Caroline Eliacheff.
Il s’agit de l’article Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman, publié en mai 2025 dans le Journal of Human Behavior in the Social Environment.
Quelques jalons historiques
L’Anti-Defamation League, ou ADL, est née en 1913 aux États-Unis, à la suite de l’affaire Leo Frank, un industriel juif injustement accusé puis lynché en Géorgie. Son but était alors clair : défendre la communauté juive contre la diffamation et les violences, en invoquant la justice et l’égalité. Une défense morale, fondée sur des principes universels issues de la constitution américaine et l'humanisme du siècle européen des lumières.
Mais la Shoah a ouvert une brèche sans précédent, ce que Paul Ricœur appellerait une cassure anthropologique : une rupture dans la condition humaine elle-même, qui fige l’identité et interdit au sujet la possibilité de se raconter, mais bien plus elle a tenté de briser l’être humain.
L’assignation antisémite quant à elle enferme l’individu dans une identité imposée, barrée dans sa dimension narrative. Elle peut conduire « naturellement » selon les contextes sociétaux à priver, détruire l’être de l’Être humain.
Après 1945, l’ADL s’est appuyée sur les sciences humaines pour approfondir son action. Adorno, avec The Authoritarian Personality (1950), a montré comment certaines structures psychiques autoritaires conduisent à produire des boucs émissaires.
Mais ce travail aurait pu trouver un appui plus ancien encore, dans le "Discours de la servitude volontaire" de La Boétie, qui posait déjà la question : pourquoi les hommes acceptent ils, et parfois même désirent ils, leur propre asservissement ?
Allport, avec The Nature of Préjudice (1954), a montré pour sa part que les préjugés, appris socialement, peuvent être déconstruits par l’éducation et le contact entre groupes.
La psychanalyse, plus récemment, a apporté une autre clé de lecture. Paul Denis, dans son livre "L’Exaltation," souligne que l’identité n’est jamais monolithique. Elle se construit par des fantasmes et des identifications qui permettent au sujet de s’affranchir, peu ou prou, des imagos parentaux.
Cette souplesse, ce passage d’une facette à l’autre, donne à l’identité sa mobilité. Il faut penser aussi penser ici à l’impact transgénérationnel, à la manière dont ces fixations et ces blessures peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. C’est sur ce chemin que nous arrivons à l’article de Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman. Un concept de grande importance. Et, il faut le souligner : si l’étude concerne l’expérience juive récente, ses conclusions dépassent ce seul cadre. L’invalidation traumatique identitaire peut toucher toute personne dont l’identité comporte des facettes minoritaires ou différentes du pays où elle vit : protestants, musulmans, migrants, ou toute appartenance exposée à la non-reconnaissance. Voilà donc le fil conducteur : de la défense morale de 1913, à la Shoah comme cassure anthropologique, aux apports psycho-sociaux d’Adorno, Allport et La Boétie, Paul Ricoeur, à la psychanalyse de Paul Denis, et jusqu’à aujourd’hui avec l’invalidation traumatique identitaire. Cet article tente de réparer la répétition d’un 'impensable": « la razzia génocidaire" au cœur même de la nation israélienne.
On ne peut qu’être frappé par le cloisonnement des références dans l’article de Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman. Leur approche demeure essentiellement comportementale, attentive à décrire les effets observables de l’invalidation traumatique, mais sans les mettre en dialogue avec les grandes élaborations théoriques des sciences humaines. Or une telle ouverture aurait considérablement enrichi leur propos en plongeant dans l’intime du sujet traumatisé.
On pense en particulier aux travaux d’Adorno et de l’École de Francfort, qui auraient permis d’éclairer les dynamiques de soumission et de production du bouc émissaire, replacées dans une critique sociale et culturelle plus large.
De même, la prise en compte de la psychanalyse, et notamment des analyses de Sándor Ferenczi sur l’identification à l’agresseur, aurait pu montrer comment, dans certaines conditions, le sujet en vient à intérioriser la violence subie, au prix d’une culpabilité accrue et d’une haine de soi.
Ces quelques remarques doivent être entendues comme des critiques qui cherchent à discerner, non à disqualifier. Car il s’agit d’un article de grande valeur, qui a le mérite d’introduire une notion nouvelle et opératoire – l’invalidation traumatique – et de la rendre disponible à la réflexion clinique et sociale contemporaine. Une réflexion qui éclaire non seulement l’expérience juive récente, mais aussi celle de toute identité minoritaire confrontée à la non-reconnaissance de leur identité.
