Modèle exemple XXXX
5 mars 2025Problèmes cliniques et métapsychologiques du syndrome de l’X fragile (1)
« C’est l’étude de l’évolution des individus qui nous a permis de connaître cet appareil psychique. Nous donnons à la plus ancienne de ces provinces ou instances psychiques le nom de çà ; son contenu com- prend tout ce que l’être apporte en naissant, tout ce qui a été constitutionnellement déterminé, donc avant tout les pulsions émanées de l’organisation somatique et qui trouvent dans le çà, sous des formes qui nous restent inconnues, un premier mode d’expression psychique. Sous l’influence du monde extérieur réel qui nous environne, une fraction du çà subit une évolution particulière. Se différenciant à l’origine comme une couche corticale pourvue d’organes récepteurs d’excita- tions et de dispositifs pare-excitations, une organisation spéciale s’établit qui, dès lors, va servir d’intermédiaire entre le çà et l’extérieur. C’est à ce secteur de notre psychisme que nous donnons le nom de moi. (...) Dans son activité, le moi est guidé par la prise en considération des tensions provoquées par les excitations du dedans ou du dehors. Un accroissement de tension provoque généralement du déplaisir, sa diminution engendre du plaisir. Toutefois le déplaisir ou le plaisir ne dépendent probablement pas du degré absolu des tensions mais plutôt du rythme des variations de ces dernières. Le moi tend vers le plaisir et cherche à éviter le déplaisir. A toute augmentation attendue, prévue, de déplaisir répond un signal d’angoisse et ce qui déclenche ce signal, du dehors ou du dedans, s’appelle danger. De temps en temps, le moi, brisant les liens qui l’unissent au monde extérieur, se retire dans le sommeil où il modifie profondément son organisation. L’état de sommeil permet de constater que ce mode d’organisation consiste en une certaine répartition particulière de l’énergie psychique. » (S. Freud, Abrégé de Psychanalyse, Chap. 1er : « L’appareil psychique », 1938).
Histoire de Jean
Jean avait 4 ans, des cheveux bouclés, des oreilles décollées et des taches de rousseur sur les deux joues et le nez. Il cachait son grand front sous la visière d’une casquette à carreaux et fixait désespérément l’extrémité de ses godillots noirs.
A l’abri derrière son père,
il écoutait.
Ses parents parlaient avec gravité. Jean était né sans encombre, facilement, il était venu au monde « comme une lettre à la poste »... Très vite il s’était révélé timide, mal à l’aise, surtout quand on l’approchait ou le regardait.
Sa mère, qui ne travaillait pas, l’avait gardé jusqu’à l’âge de 3 ans, puis il était allé à la maternelle. Elle disait avoir été, peut-être, une trop « bonne » mère, une mère poule, et c’était pour cela que Jean avait du mal à rencontrer les autres. Autrefois, lorsqu’elle était enfant, on lui avait dit qu’un oncle à elle, un oncle simplet, un « bredinot », avait eu les mêmes problèmes... Elle était effrayée par tout cela.
Le père parla de Jean avec affection.
C’était un petit garçon charmant, curieux mais qui avait, du moins c’est ce qui lui semblait, toujours peur de quelque chose, de quelqu’un. Peu à peu, et c’est surtout ce qui avait inquiété l’institutrice, il s’était mis à se mordre les mains, à les regarder, à les faire bouger. Il évitait « d’aller dans le monde ». Par moments, il s’agitait. Lors d’un dernier voyage de classe, il avait paniqué quand on avait voulu le mettre en selle sur un petit âne gris.
La maîtresse leur avait dit qu’il était en retard à l’école, surtout le langage, elle leur avait conseillé de le montrer à un médecin «pour voir »... Peut-être était-il un peu sourd ? Et puis, tout dernièrement, elle leur avait parlé d’autisme et ils étaient repartis les jambes à leur cou. Un si gentil petit garçon... Mais aussi un petit sauvage qui se cachait de tous, fuyait les contacts et, parfois, répétait les mêmes questions indéfiniment. Je demandai alors aux parents s’ils pouvaient nous laisser seuls, Jean et moi. Jean ne le supporta pas. Le petit bonhomme sortit prestement du bureau mais, comme ses parents étaient allés s’asseoir un peu plus loin, hors de sa vue, Jean revint vers la porte. Commença alors une étrange scène.
Jean était accroché à la porte et montra le bout du nez, puis le front. Au bout de dix bonnes minutes, il risqua un œil qu’il retira aussitôt. Je l’attendais tranquillement, lui dis que j’avais trois quarts d’heure à lui consacrer. Il finit, au bout d’une demi-heure, par passer entièrement la tête de mon côté. Dès que je le regardais, il baissait les yeux. Au bout des trois quarts d’heure, je lui dis que c’était fini ; il parut déçu, et j’allai chercher ses parents. J’essayai de dire que Jean, qui n’était pas un garçon autiste, semblait effectivement, comme ils l’avaient dit, présenter en même temps qu’un réel intérêt pour moi, une peur véritable, une peur difficile à comprendre. Évitement, agoraphobie atypi- que, timidité, anxiété, « mutisme » sélectif, retard modéré du langage, problèmes d’attention, oreilles décollées..., le syndrome de l’X fragile était à envisager. Je proposai de revoir les parents, leur disant qu’il était préférable de faire un bilan somatique et de vérifier qu’il n’y avait pas de problème génétique. La consultation commune qui s’ensuivit (consultation avec
le médecin généticien, nous-mêmes et la famille) fit lien, d’une certaine manière, entre psyché et soma. Le diagnostic d’X fragile fut confirmé.
A propos du syndrome de l’X fragile
Le syndrome de l’X fragile est la cause la plus fréquente de retard mental héréditaire (Randi Jenssen Hagerman, 1997 [10]). On estime à 25 000 la population atteinte en France. Sa fréquence serait de 1/1 500 chez les garçons et de 1/2 500 chez les filles.
D’un point de vue historique, c’est dans les années 1930 que l’on commence à s’interroger sur la prévalence des retards mentaux chez l’homme... En 1943 Martin et Bell, les premiers, font le lien entre une certaine dysmorphie et le retard mental héréditaire. Ils donnent alors leur nom à un syndrome qui, chez l’homme adulte, repose sur la triade : retard mental, visage allongé, oreilles décollées et macro-orchidie. Plus tard, on s’aperçoit, grâce aux progrès de la cytogénétique puis de la biologie moléculaire, qu’existe, dans ces cas, une fragilité sur le chromosome X, fragilité s’amplifiant de génération en génération et aboutissant, finalement, à une véritable cassure qui empêche la production d’une protéine (FMR1). Actuellement, on peut identifier les anomalies
sur le chromosome X, ce qui permet d’apporter aux familles un conseil génétique et, le cas échéant, d’effectuer un diagnostic prénatal dès le deuxième mois de grossesse.
D’un point de vue génétique, il s’agit donc, en résumé, d’une anomalie héréditaire liée au chromosome X. Le gène est localisé en Xq27.3 (lieu du site fragile sur le chromosome X). Les manifestations de la mutation nécessitent plusieurs changements successifs dans les séquences instables de l’ADN. La physiopathologie est encore inconnue. Le diagnostic prénatal est possible par la mise en évidence du site fragile en cytogénétique. Il existe deux types de tests sanguins, l’un est un test chromosomique ou cytogénétique, l’autre est un test au niveau de l’ADN qui montre directement la modification ou mutation dans la structure du gène FMR1 (la mutation éteint l’expression du gène FMR1, c’est ce qui est à l’origine de la clinique du syndrome de l’X fragile). Les travaux de recherche aboutissent à la mise en évidence de divers degrés de mutation :
- la prémutation chez les transmetteurs sains, asymptomatique ;
- la mutation complète ;
- et la mosaïque X fragile (qui associe prémutation et mutation complète).
Les femmes qui expriment la maladie sont moins gravement atteintes. Elles sont rarement dépistées. Mais, quoi qu’il en soit, le tableau clinique est très variable d’un sujet à l’autre ; il est également inconstant, pour un même sujet, au cours de la vie…
D’un point de vue clinique, on retrouve :
- Des anomalies physiques : variables et inconstantes, elles peuvent n’apparaître qu’à la puberté (50 %). On retrouve un visage allongé avec des oreilles décollées, un grand front, des plis d’oreilles mal dessinés, un palais ogival, un périmètre crânien supérieur à la normale, une hypotonie, des problèmes ORL, une hyperlaxité des articulations, une attitude cyphotique, des pieds plats, une faiblesse des muscles oculaires, une macro-orchidie après la puberté (avec souvent une baisse de l’activité sexuelle mais une fertilité conservée), une poitrine enfoncée, une légère scoliose, une peau sèche, un prolapsus mitral. On retrouve également des épilepsies associées.
Des troubles du langage et une dyscalculie : retard de langage évocateur du syndrome. Les troubles sont quasi constants avec, surtout, des troubles de l’articulation, une dysrythmie, des persévérations, une écholalie
- Des troubles du comportement: l’hyperactivité, les troubles de l’attention et l’impulsivité sont évocateurs. La fuite du regard, l’isole- ment, la résistance aux changements, une intolérance aux contacts physiques sont fréquents. On note aussi des manifestations d’agressivité, des stéréotypies, Des automutilations, des moments de colère, des troubles de l’humeur avec changements fréquents, des troubles alimentaires compulsifs. Selon les auteurs on note que, dans 50 % des cas, les sujets se mordent (morsures des mains), on note également des battements des mains, un classique regard fuyant (les stimulations visuelles recherchées sont par trop ..).
- Un retard mental souvent modéré (QI aux alentours de 70, voire ..) est ordinairement retrouvé.
A noter qu’il existerait une forme phénotypique où prédomineraient « timidité », anxiété, agoraphobie, « pensée tangentielle » (ici l’évitement est loi), et une forme où prédominerait l’hyperactivité avec troubles de l’attention. Existeraient également des différences d’expression selon l’âge : durant l’enfance, on retrouverait volontiers un syndrome d’allure autistique, un léger retard et une agitation ; à l’adolescence, on retrouverait surtout une agressivité et des changements d’humeur puis, à l’âge adulte, essentiellement des problèmes de communication.
Chez l’enfant, les comportements stéréotypés, les troubles de la relation, l’auto-agressivité, l’évitement du regard, l’intolérance aux changements les plus minimes font porter souvent à tort le diagnostic d’autisme... Nous allons voir, pourtant, que les troubles peuvent être interprétés d’une manière bien différente dans le cas du syndrome de l’X fragile.
Pour en revenir à Jean : excitation, pulsion et traumatisme
Il est vraisemblable que Jean présentait une forme phénotypique où prédominait la « phobie atypique » (avec timidité, agoraphobie, phobie des animaux, « pensée tangentielle »). Mais il s’agit là d’une fausse phobie, d’une « pseudo-phobie », d’un évitement où il n’est nullement
question d’une crainte du Moi devant le Surmoi. Cette « pseudo-photophbie » s’enracine dans le soma. Nous supposons cependant que l’environnement peut en modifier l’expression. Par « environnement », il faut entendre quelque chose comme « l’eau du bain », comme un espace rythmé par les mouvements d’investissements réciproques, par les désirs, les défenses et le pare-excitations. « Je suppose », dit D.-W. Winnicott, « que le terme psychisme signifie l’élaboration imaginaire de par- ties du corps, de sensations et de fonctions somatiques, c’est-à-dire d’une pleine conscience physique » [14]. Cet imaginaire du corps (nous l’entendons ici comme soma), ce reflet dans l’image de sensations, de fonctions, de lieux corporels en attente d’élaboration est, pour nous, intimement dépendant des capacités de représentation, conscientes et inconscientes, soutenues par le jeu pulsionnel (bébé-environnement) et qui se lieront, ensuite, aux représentations de mots par le travail du système préconscient. Mais si le psychisme est intimement lié au travail opérant à partir des représentations de choses, encore faut-il que ces représentations de choses soient rendues possibles. Ici interviendront, fondamentalement, les capacités de la mère ou de son substitut :
« L’esprit a donc, pour origine, un fonctionnement variable du psyché- soma en rapport avec la menace pesant sur la continuité d’être consécutive à tout échec de l’adaptation (active) de l’environnement. Il s’ensuit que le développement mental est très influencé par des facteurs qui ne sont pas spécifiquement personnels à l’individu, y compris des événements fortuits. En matière de soins maternels, il est d’une importance vitale que les mères suppléent au début cette adaptation active d’abord physiquement et bientôt également par l’imagination » (D.-W. Winnicott [14]). Or il est manifeste que les effets traumatiques liés à l’annonce du syndrome de l’X fragile (ou, plus encore, liés à la
« non-annonce », par ignorance du diagnostic), désorganisent la psyché maternelle et ses capacités adaptatives. Nous observons alors ordinairement, chez les parents, un trouble tant qualitatif (trouble de la fonc- tion pare-excitante déterminant les capacités de liaison attachées au travail psychique, fonction qui s’avère défaillante, ici, dans les suites du trauma), que quantitatif (quantité, force telle qu’elle ne peut plus lier correctement les représentations entre elles). On comprend, dans ces conditions, comment l’environnement maternel peut être défaillant, ni parfait au début, ni suffisamment bon par la suite... Et comment, par contre-coup, il sera difficile à l’enfant, déjà atteint dans son soma, de développer normalement ses capacités de mentalisation.
Voici donc le petit Jean menacé de toutes parts... D’un côté, le soma source d’une trop grande excitation ; de l’autre, le réel rendu traumatique par le défaut d’adaptation parentale.
Jean présentait, avons-nous souligné, une symptomatologie « pseudo-phobique ». Comment comprendre plus avant cette fausse phobie ? C’est par l’hypothèse d’un défaut du pare-excitation, défaut dont l’expression phénotypique est modifiable par l’environnement que nous poursuivrons l’analyse du cas. Tout se passait chez Jean comme s’il y avait, en toute périphérie, une absence de « bouclier filtrant », comme si la réalité extérieure le pénétrait sans retenue, avec grande violence, et avec une telle quantité énergétique que le système préconscient-conscient (Pcs-Cs) était débordé. Tout était alors potentiellement traumatique. Si l’on prend l’exemple du bloc-notes magique, tout se passe comme si, chez Jean, il y avait, originellement, un pare-excitations défaillant, un pare-excitations d’une ridicule épaisseur (P. Fedida [3]). Les excitations traversent alors sans aucun effet de réduction, la couche de celluloïd transparente pour « frapper » de plein fouet le système Pcs-Cs perméable. Celui-ci, soumis aux coups de boutoir venant de l’extérieur, devient incapable de tenir normalement son « rôle » et est mis, au moins partiellement, hors circuit (S. Freud [5]). Par le fait, le système Pcs-Cs ne peut plus être périodiquement, par coups rapides, investi normalement à partir du fond cireux de l’Inconscient. Cette défaillance topique, liée à un écrasement par l’excitation d’origine externe qui n’est plus réductible, rend alors directement manifestes les productions de l’Inconscient ; on retrouve un fonctionnement en processus primaire avec une énergie qui s’écoule librement. Ceci fait que l’on confond l’effet traumatique lié à un défaut du pare-excitations dans la maladie de l’X fragile à un état psychotique, voire autistique... Cette vision topique, liée à l’aspect économique et dynamique, est nécessairement schématique. Il s’agit bien d’une lecture imagée des phénomènes observés. Toutefois elle permet de relier, en théorie, le trouble génétique (vulnérabilité aux stimulations), le trouble familial (mise en faillite du pare-excitations maternel avec effets de culpabilité et de désespoir) et la désorganisation psychique du sujet malade (écrasement topique tant que la fonction pare-excitante n’est pas « assistée »). Cette analyse mériterait bien entendu d’autres développements.
Par exemple, pour Jean, qu’en est-il de la pulsion, ce représentant psychique de l’excitation qui s’origine du soma ? N’y aurait-il pas intérêt, par le biais de la pulsion (S. Freud [4]), à se poser la question des
liens complexes entre le défaut du pare-excitations, défaut palpable puisqu’on voit bien que chez Jean la perception est traumatique, le flou de l’espace somato-psychique et une sorte de « rétrécissement » du psy- chique, avec une double pénétration traumatique du côté du soma d’une part, et du réel d’autre part. Ceci pourrait « expliquer » cette mise en défaut du Pcs. Il y aurait en effet peu de soutien des représentations par la pulsion du fait d’une excitation somatique majeure liée au trouble génétique d’un côté et, de l’autre côté, une distorsion des relations précoces liée aux effets traumatiques chez la mère. Défaut de pare- excitations, trouble originel des liens somato-psychiques, on peut com- prendre alors les débordements et les insuffisances du Pcs. Tel est donc l’état de nos spéculations : dans le syndrome de l’X fragile, les troubles seraient liés tant à un « défaut » pulsionnel (excitation somatique telle que le représentant psychique de celle-ci ne soutiendrait plus suffisamment le champ des représentations) qu’à un « défaut » de l’environnement (maternel) désorganisé, sidéré par le trauma lié à l’annonce de la maladie génétique.
Principes de soins en forme de médium malléable
Considérer que, dans le syndrome de l’X fragile, l’événement de la rencontre est à l’origine d’un choc désorganisateur par un défaut originel de pare-excitations, par un trouble global de la psyché où la pul- sion ne fait plus suffisamment lien entre le soma et les représentants- représentations et représentants-affects, considérer que ce choc est majoré par l’incompréhension parentale, le non-sens, cela influe nécessairement sur les principes de traitement. On insiste généralement sur l’importance d’une intervention pluridisciplinaire dans le cas des sujets atteints d’un syndrome de l’X fragile, on insiste sur une approche globale du problème, sur la nécessité d’une aide éducative individualisée. Évidemment, on peut avoir recours à des traitements médicamenteux symptomatiques (traitement des otites associées ou d’une épilepsie associée, par exemple). Mais, comme dans le cas de Jean, il nous semble que la prise en charge globale passe nécessairement par des soins médiatisés pour l’enfant, par des consultations régulières avec les
parents, par la mise en place d’un enseignement adapté (compte tenu de l’hypersensibilité aux signaux dans le cas de l’X fragile, on aura recours à une information séquentielle, fractionnée, à un enseignement qui respectera les transitions, qui aura le temps...). Tout doit concourir, en matière d’éducation et d’enseignement, à favoriser la relation duelle et les objets médiateurs. Tout dans le soin doit permettre la découverte de la transitionnalité (D.-W. Winnicott [13]), en particulier par le recours à des « enveloppes relationnelles » sécurisantes.
Nous avons été amenés jusque là à interpréter la fausse phobie du syndrome de l’X fragile comme conséquence d’un trop d’excitation (interne par trouble somatique directement lié à l’anomalie chromoso- mique, externe par un défaut du pare-excitations lié, en partie, au trauma maternel). Ce trop d’excitation, ce trauma, est à l’origine d’un trouble dans l’établissement et le fonctionnement du système Préconscient. Il s’agira donc, au cours du traitement, de (ré) établir les capacités de liaisons (représentations de choses/représentations de mots) et la temporalité propre au travail du Pcs en aménageant une sorte de transitionnalité du processus de représentation. Nous passerons alors du quantitatif au qualitatif, d’un trauma « deuxième topique » à un trauma
« première topique », d’un trauma « irreprésenté », si ce n’est sur le modèle de l’effraction quantitative, de l’économique pur (modèle 1920), à une représentation du traumatisme par le sujet, trauma avec un après- coup qui donne sens à l’avant-coup et le fait exister comme annonciateur de l’après-coup (modèle 1915) (Cl. Janin [7])...
Aménager une sorte de transitionnalité du processus de représentation nous amène à introduire le concept de « médium malléable », développé par R. Roussillon à partir du texte de M. Milner : « Rôle de l’illusion dans la formation du symbole » (M. Milner [9]).
Le médium malléable permet de passer du trop d’excitation à la représentation, de l’énergie à la forme : « Grâce à son indestructibilité, le médium malléable – c’est là ce qui définit son essence malléable – transforme les quantités en qualités. Un coup de poing donné à un morceau de pâte à modeler aplatit celle-ci sans la détruire, il change sa forme en s’adaptant à la force » (R. Roussillon [11]). On passe ainsi du débordement énergétique au champ représentatif par l’intermédiaire d’un objet perceptible comme changeant et indestructible. Ce médium malléable, tel que nous le comprenons en nous l’appropriant, détermine un champ de qualités qui prend concrètement forme soit dans un objet, soit dans une activité, soit dans un apprentissage, mais toujours
dans une relation qui soutient la transitionnalité winnicottienne. Ainsi le médium malléable a, si l’on suit les indications de R. Roussillon, plusieurs caractéristiques :
- il doit pouvoir être atteint et détruit..., mais il doit survivre en se transformant (propriété essentielle, pour le sujet, à la découverte ou à la redécouverte de la fonction représentative) ;
- « paradoxalement », s’il n’est pas altéré dans sa nature fondamentale par de grandes quantités d’énergie, il témoignera cependant d’une grande sensibilité aux variations énergétiques qualitatives ;
- il est protéiforme (l’infinie et indéfinie transformation du même...) ;
- l’inconditionnelle disponibilité ne le concerne pas directement mais concerne son souvenir, sa re-présentation. Ce souvenir et cette représentation, par la trace, le manque, sont de notre point de vue ce qui infiltre allégories, métaphores et interprétations ;
- le médium malléable rencontre « l’éclat du vif », celui de la psyché du thérapeute et, secondairement, celui du sujet
Plus qu’un objet nous assimilons donc ce médium malléable à un concept, l’idée de « quelque chose » qui permet de restaurer, par régression (à comprendre essentiellement dans la relation transférentielle), les capacités de liaison, de représentation, donc les témoignages perceptibles d’un travail du Pcs-Cs. Ainsi « accommodé » par nous, ce « médium malléable » avoisine, conceptuellement, tant l’aire transitionnelle winnicottienne (aire de toute façon menacée d’achoppement dans les suites du trauma), que la pulsion et les représentations (étant entendu qu’il n’y a pas représentation sans, quelque part, affect...). Le cadre thérapeutique (mais aussi pensons-nous éducatif, scolaire...), retrouvant l’endroit du médium malléable, permet alors une (re)- décou- verte du processus des représentations soutenues par le jeu pulsionnel.
« Avant que ne soit construit le concept de représentation, l’activité représentative de l’enfant s’étaie au dehors sur le cadre familial dont la fonction est de permettre à l’enfant d’éviter d’être débordé par un trop plein d’excitations alors désorganisatrices. Ainsi se fixe une limite entre ce que le moi peut intégrer de notions pulsionnelles, pour se sentir vivant et créatif, et ce qu’il doit réprimer pour ne pas se désorganiser. Cette fonction de pare-excitations externes, de filtrage, est doublée pendant toute cette période de construction et d’intégration pulsionnelle d’un étayage transitionnel, animique, sur l’une des figures du médium malléable. Le médium malléable est une chose, un objet qui devient
dans l’animisme infantile le représentant-chose ou représentant-objet de la représentation, de la fonction représentative. Il sera intériorisé ensuite sous la forme d’une représentation-chose de la représentation d’un concept-chose et organisera l’activité représentative du moi inconscient... Mon hypothèse est donc que le médium malléable est à l’origine des représentations d’objet qui représentent la représentation elle-même » (R. Roussillon [11]).
Ainsi, si l’on prend pour hypothèse que, dans le cas du syndrome de l’X fragile, il y a un trop d’excitation somatique, « trop » qui est lié d’emblée à l’anomalie génétique, « trop » qui, loin de trouver un cadre familial organisateur, rencontre les effets désorganisateurs du trauma lié à l’annonce de la maladie chez tous les membres de la famille, alors on comprendra que le psychisme est en péril. On comprendra que sont mis en question tant le filtrage, « le pare-excitations externes », que le représentant psychique d’une trop grande excitation qui naît du corps, c’est-à-dire la pulsion elle-même... On peut alors supposer que le médium malléable dût être présenté afin que la pulsion puisse s’y lier (lien du type « représentant psychique de la pulsion-représentation de chose ou d’objet (inconsciente ou consciente) ») (A. Green [6]).
En tout cas, si l’on considère, comme Roussillon, que le médium malléable « est à l’origine des représentations d’objet qui représentent le représentation elle-même », ce médium doit être proposé au sujet porteur d’une maladie de l’X fragile. En certains cas, ceci doit être fait d’une manière « naturelle », intuitive, par les parents mais, en d’autres cas, il faut le leur permettre.
Où il est question de prendre la porte
L’excitation somatique liée à l’anomalie chromosomique est une excitation endogène en mal de représentation. Le sujet, dans le syndrome de l’X fragile, n’a alors d’autre ressource que de l’expulser. L’excitation originellement endogène devient ainsi extérieure et, ce faisant, rencontre au contact de cet extérieur les effets du trauma parental (désorganisation, défaut de contenance, clivages, somatisations...). Hémorragies narcissiques, projections et mouvements maniaques (côté parental) risquent alors d’entraver la mise en place d’un pare-excitations de bonne qualité qui, en outre, une fois ébauché, sera nécessairement soumis à l’excitation exogène originellement issue du soma, ainsi qu’aux projections et excitations issues d’un environnement traumatisé. L’afflux de stimuli ne peut être contenu, le système project introject est pris en défaut, l’assimilation, la métabolisation psychiques deviennent inaccessibles, le bouclier filtrant est troué de toutes parts et le système préconscient-conscient qui, déjà, avait des pieds d’argile, est rapide- ment, dès son ébauche, débordé par le flot des stimuli à traiter.
Ici la notion de vésicule indifférenciée de substance excitable (S. Freud, 1920) prend toute sa valeur. Cette vésicule, autrement nommée « vésicule protoplasmique originaire », devrait initialement « articuler en une même forme, une même préhistoire, la liaison des excitations traumatiques et désorganisatrices-déliantes, donc d’un point de vue économique, et la naissance de la conscience, c’est-à-dire la topique de la différence dedans /dehors, forme de la limite » (R. Roussillon [11]). On comprend comment, dans le cas de l’X fragile, cette vésicule protoplasmique ne peut suffisamment lier les excitations traumatiques, c’est-à-dire permettre au sujet de passer de l’économique « pur » à la différenciation topique (système Pcs-Cs délimité par son fonctionnement à partir de l’Ics et de l’extérieur). Dans le syndrome de l’X fragile, la vésicule est soumise sans cesse aux brûlures de l’excitation.
La porte que prend Jean, par accolement à la vésicule, le protégerait de l’intensité destructrice des stimuli externes et lui permettrait, ainsi, de passer plus aisément de la quantité à la qualité, accédant par-là à la figurabilité et au jeu représentationnel. Mais ceci n’est possible, si l’on suit cette hypothèse, que par l’entre-deux que signifie la présence du thérapeute.
Ses parents partis, Jean, esseulé, lâché, revint vers la porte du bureau. Il regarda à l’intérieur et s’arrêta. C’est alors que commença son drôle de jeu. Jean se cachait, pointait le bout du nez, me voyait, se retirait, réapparaissait, et répéta ainsi cette bizarre partie de présence- absence pendant une dizaine de minutes. Puis il engagea, peu à peu, la figure, la tête, le bras. Pendant ce temps, assis, m’intéressant à ce qu’il faisait, je pris une feuille qui traînait et me mis à dessiner. Je commençai par faire une gigantesque porte, puis accrochai à sa poignée une bobine et ajoutai un bonhomme à lunettes, un lutin avec un chapeau, et les deux s’observaient. Jean s’était approché. Loin d’être dans un repli autistique, il paraissait d’une curiosité à (presque) toute épreuve. Je jetai un œil sur lui de temps à autre tout en rêvassant. Du coup, je me mis à fredonner une comptine. Il s’était assis sur une chaise, à côté de moi, et fixait mon dessin, mon visage. Je le regardais, il baissait les yeux. Je dessinais, il les levait. Il prit un ours en plastique mou à main gauche. Il jouait avec. Je chantais :« J’aime papa, j’aime maman, j’aime mon pt’it frère, ma pt’ite sœur, j’aime papa, j’aime maman, mais j’aime mieux mon gros éléphant ».
Il sourit. Je continuai à griffonner un peu. Il avait saisi un crayon de couleur et faisait des traits. Je regardai ma montre, il était l’heure, et lui dis que nous arrêtions là mais que, s’il en était d’accord, je pro- poserais à ses parents qu’il rencontre une collègue à moi « qui fait pas mal », puis que je le reverrais. Il fit mine que oui. Et nous en restâmes là pour la première fois.
Évidemment, le jeu avec la porte peut rappeler le jeu du fort-da, même si, en l’occurrence dans le cas de Jean, il n’y eut, par lui, aucun mot prononcé. Il est possible que, comme dans le jeu de la bobine, l’enfant « n’essayait pas seulement de surmonter au moyen de ce jeu ses sentiments de perte d’objet mais aussi d’angoisse dépressive » (M. Klein, 1997). D’une manière générale, on peut rapprocher le jeu de la porte et le jeu de la bobine. Comme dans le jeu de la bobine, le jeu de la porte peut :
- par une mise en scène, reproduire l’événement de la disparition (des parents) et, ainsi, maîtriser les effets de l’affect ;
- permettre de passer d’une position passive (être laissé par les parents) à une position active (jouer le départ-retour), ce qui serait une sorte d’« abréaction par le jeu de l’affect désagréable subi passivement (et qui aurait) non seulement une valeur de décharge, mais aussi une valeur de maîtrise de l’affect » (Fedida, 1952).
Mais, dans le cas de Jean, je ne crois guère à tout cela. Je pense surtout que le jeu avec la porte m’est destiné et, en ce sens, il me parait être une manifestation de la pulsion d’emprise. Nul doute qu’il y a le départ des parents mais il y a ma propre présence, cette inquiétante présence, et ce regard que je porte parfois sur lui et qui le brûle. C’est sur moi que l’emprise doit avant tout, dans l’urgence, porter. Ceci amène à penser la saisie de la porte (et par là ma propre saisie) par une espèce de main psychique, comme une prise vitale pour Jean. Car: « la première urgence de l’appareil psychique, avant même de savoir si l’expérience est “bonne” ou “mauvaise” (futur jugement d’attribution), si elle est “objective” ou “subjective” (futur jugement d’existence), est d’assurer son emprise (...) L’expérience pulsionnelle effractive ne peut commencer à être “bonne à représenter” qu’à partir du moment où le sujet a pu assurer une première emprise sur elle, c’est-à-dire a été capable de la contenir et de la localiser ; elle ne peut devenir une expérience du moi – donc représentée – que si elle a pu préalablement être subjectivée par l’emprise » (R. Roussillon [11]). L’espace porte/ bureau/moi est le lieu de l’expérience de Jean. Et je pense même que j’ai pour Jean, dans cette partie de cache-cache, valeur de médium malléable, objet qui signifie la fonction représentative et que rencontre la pulsion d’emprise.
En guise de conclusion
Il est probable que, dans l’avenir, nombre de maladies génétiques seront identifiées. Certaines d’entre elles auront, comme manifestations phénotypiques, des troubles du comportement.
Ceci aura pour conséquences de bousculer notre clinique et de nous amener à de nouveaux modèles de compréhension psychodynamique. Peut-être l’un des dangers, alors, sera-t-il de négliger l’aspect dimensionnel du syndrome au profit de son aspect catégoriel ? Autrement dit, le risque serait de réduire, involontairement, Jean à sa maladie. Au cours de ce travail, nous avons tenté de donner sens à des signes étranges. Il est bien évident qu’il ne faut pas prendre notre « théorie » pour une tentative de réification « vraie » et invariable du syndrome de l’X fragile. Ce serait une erreur. D’une part, la lecture que nous avons donnée du trouble mériterait des travaux comparatifs ; d’autre part, Jean a une histoire. Qui plus est, et c’est sans doute là notre principale hypothèse, l’environnement modifie l’expression du biologique. De fait, cet environnement (où nous incluons l’environnement familial bien sûr, éducatif, scolaire, médical, mais aussi thérapeutique et psychothérapique) influera sur le développement, et donc la clinique. Et c’est bien à cet endroit que nous pouvons espérer.
Quelques nouvelles de Jean. Dernièrement, il faisait mine de lire les aventures d’un petit fantôme par-dessus l’épaule de sa sœur. Voilà un regard « périphérique » qui, loin d’être autistique, est la manifestation réconfortante d’une curiosité qui tient à la pulsion et aux capacités représentatives. Quand on le vit, il en rougit...
J.-P. M. ; J. R. ; M. B.
Références bibliographiques
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