DES PSYCHIATRES EN « PRISON » ?

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DES PSYCHIATRES EN "PRISON" ?


Ce billet est l'introduction quelque peu écourtée du numéro de Psychiatrie Française consacré à : ESPACE DE SOIN EN PSYCHIATRIE


Trop souvent les débats qui concernent la pratique psychiatrique en milieu carcéral, demeurent internes au milieu pénitentiaire, c'est-à-dire entre « psy » exerçant en milieu carcéral ou avec l’administration pénitentiaire, ou les magistrats. Peu avec la psychiatrie.

Quand le débat vient auprès du milieu psychiatrique, c’est sur le thème de la « dangerosité », vite associée aux hospitalisations sous contrainte... Où doivent être soignés les détenus ? Les moyens affectés à la psychiatrie en prison devraient permettre le maintien de la frontière entre délinquance et maladie mentale, entre prison et hôpital, éviter de ramener la psychiatrie publique à une fonction de coercition.

Les psychiatres experts auprès des tribunaux n’exercent pas pour la plupart en milieu carcéral et naviguent entre ces deux univers. Ces discussions nécessaires ont eu lieu imposées par un fait divers dramatique, par un débat médiatique politisé. Un débat sous pression, qui permet rarement une discussion constructive. Bien sûr cet exercice est au cœur de la création de l'institution psychiatrique, de l'asile en différenciant les hôpitaux psychiatriques des lieux d'incarcération… Avec l’idée de l’enfermement aux yeux du public, de l’éloignement de nos quotidiens.

La psychiatrie en prison... Ces deux noms accolés ont réveillé beaucoup de craintes, de jugements négatifs, fait miroiter des intérêts politiques, des manipulations de la part des patients – des détenus qui n’étaient pas des malades –, et la manipulation des psychiatres et des équipes psychiatriques qui étaient « naïfs » et au mieux auraient du mal à maintenir une éthique en prison.

Exercer la psychiatrie en prison Psy. Fr. nº 2.2022 pp. 5-8 était-ce possible ? De la psychiatrie publique, au service d’une société et inscrite dans les pratiques psychiatriques ? Était-ce vraiment de la psychiatrie ? C’est ce que ce numéro veut faire partager : comment travaillent des professionnels du soin, de l’écoute, de l’accueil dans ce milieu dans lequel peu d’entre nous sont amenés à pénétrer. Osons-nous parler dans nos pratiques quotidiennes en psychiatrie, dans nos consultations avec des patients d’un éventuel séjour en prison, ou d’être allé rencontrer quelqu’un au parloir ? D’avoir assister à un procès ? Peut-on soigner en prison, dans ce milieu de contrainte que la justice organise ? Y a-t-il des « vrais » malades en prison ? Ou ne fait-on qu’écouter les effets de décisions de coercitions, devoir contrôler les troubles du comportement de « psychopathes » face à la rigidité institutionnelle, la frustration forcément facteur déclenchant dans un dialogue impossible avec une représentation de l’autorité ? Qu’est-ce que nous sommes allés faire dans cette « galère » ? Comment, pourquoi, la psychiatrie publique a accepté de consacrer des moyens, qui font tant défaut partout à ces situations ?

La clinique nous a guidés et est le pilier essentiel de ce qui a rassemblé les auteurs de ce numéro. Notre société a changé, la prison qui a vu naître les soins en milieu carcéral a changé. L’hôpital avec sa gestion, et notamment la psychiatrie, est dans un grand malaise théorique, organisationnel. Nos réponses sont ailleurs. C’est une psychiatrie récente : les soins en milieu carcéral ont été gérés par l’administration pénitentiaire qui recrutait les personnels, souvent des ordres religieux. Les traitements étaient distribués par des surveillants pénitentiaires, les psychotropes devaient être dilués, souvent 12h ou plus avant, pour éviter le stockage et les tentatives de suicide médicamenteuses. PSYCHIATRIE FRANÇAISE — Nº 2/2022.

Au début des années 1980 les DDASS, Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, implantent des soins, gérés cette fois-ci par l’administration sanitaire dans quelques prisons, les CMPR, Centres médico-Psychologiques Régionaux. Ces services deviendront des SMPR, Services Médico-Psychologiques Régionaux en 1986. Ce sont alors des services implantés dans des maisons d’arrêt ; lieu d’incarcération des prévenus et condamnés courtes peines. L’idée est qu’en l’absence de jugement il faut donner un accès au soin identique à celui auquel ils auraient eu accès dehors. L’idée du supplément de peine dans le moindre soin restait présente. Le châtiment reste lié, comme l’a bien décrit Michel Foucault, au châtiment corporel : privation de nourriture, non distribution de médicaments, un accès aux soins restreint. Le soin est alors une récompense dans une logique pénitentiaire et judiciaire. La loi de 1994 institue l’intervention de l’hôpital dans toutes les prisons de France pour les soins somatiques, dentaires et psychiatriques. Le soin devient un droit. Ce changement institutionnel demandera du temps pour être effectif, et un travail de part et d’autre pour être vécu comme un outil au service de chacun (détenus, professionnels…) et non pas une disqualification : les soignants étant les bons objets et les surveillants pénitentiaires les mauvais objets.

Vous imaginez comment des personnalités fragiles viennent se glisser dans ce type de fonctionnement. Rapidement la loi du 17 juin 1998, dite de suivi-socio-judiciaire, centrée sur les auteurs de violence sexuelle, viendra impliquer le soin dans le déroulement de la peine avec l’Injonction de soin. Le soin devient une composante de la peine : en milieu libre après l’incarcération ou en alternative à l’incarcération, et en prison le soin est pris en compte pour les remises de peine, demande de libération conditionnelle...

Mais c’est bien de clinique dont nous voulons parler. Pas seulement d’institution et de lois. Pour instaurer du soin, il est important d’avoir conscience de nos représentations sur la prison, les détenus, les surveillants pénitentiaires. La désignation sociale est au cœur de la rencontre avec les personnes détenues. Pourquoi implanter des soins en prison ? Plusieurs raisons :

  • L’incarcération est une situation transitoire : la plupart des détenus y séjournent moins de 18 mois. Ils sont donc dehors avant l’incarcération et après. La prison est un lieu de passage, l’occasion d’une rencontre avec les soins. Comme l’ont montré de nombreuses études, la population qui entre en détention a peu recours aux soins.
  • C’est une population jeune, en moyenne 29 ans, à 95 % masculine. C’est aussi une tranche d’âge sujette aux débuts de pathologies mentales.
  • Les recours aux toxiques et comportement addictifs y sont fréquents, essentiels ou masquant une pathologie.
  • Les condamnés longues peines n’ont pas les mêmes besoins, les mêmes parcours. Les faits pour lesquels ils ont été condamnés sont parmi les plus graves et la crainte de leur sortie est très liée à celle de la récidive.
  • Aujourd’hui l’accès aux soins est devenu plus difficile pour nombre d’entre nous. En milieu pénitentiaire, il s’agit bien sûr aussi de santé publique, de pouvoir penser soin et de prévention en fonction des moments des parcours des personnes.

  • Exercer en milieu pénitentiaire, demande d’oser aller rencontrer. Et de le penser comme appartenant à nos pratiques à tous. Nombre de ces constats me semblent essentiels à partager et peuvent se retrouver dans d’autres contextes, et je l’espère permettre d’accueillir la parole et de rencontrer certains patients autrement.


    Sophie BARON-LAFORET

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