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La 79 ° Mostra internationale d’art Cinematographique
VENISE 2022
Elisabetta Marchiori et Lenio Rizzo, Traduction de Monique Bydlowski


La Mostra de Venise a bientôt 80 ans et l’artiste Lorenzo Matteoti l’a représentée comme un ange à face de Lion et à l’abondante chevelure rousse.

On a célébré aussi le volumineux ouvrage de Gian Piero Brunetta* qui raconte avec humour et poésie un siècle de cinéma. On a célébré enfin la disparition du mur qui protégeait les célébrités de la contagion virale et les rendait invisibles sur le tapis rouge.

Pour notre part, à la limite du pathologique, nous l’avons vécu, en salle de cinéma, du matin au soir, sans même le temps d’avaler quelque chose et pendant 10 jours, et enfin délivrés des contraintes dues à la pandémie. Comme l’avait prophétisé le président du jury 2021, Bong Joon Ho : la pandémie passera et le cinéma restera avec nous pour toujours.


Cette édition 2022 est de qualité élevée avec aussi l’appoint des films anciens « restaurés », ces films qui ont fait l’histoire du cinéma et qui sont à voir ou revoir.


La Mostra nous montre une fois de plus combien l’art cinématographique soulage de la réalité comme l’indiquait Paolo Sorentino l’année précédente ; pourtant quand la réalité mondiale nous envahit comme en ce moment, la force de la magie du cinéma risque de faiblir. Mais le désir de cinéma est palpable, très fort et enthousiasmant faisant du cinéma une arme de résistance sans autocomplaisance ni victimisme, avec la participation non seulement du public mais aussi de l’univers artistique et créatif qui accompagne les stars, les équipes arrivant de tous les coins du monde.


Le Lion d’or a été attribué à un documentaire particulier « Toute la beauté et le sang versé » de Laura Poitrais. Cette œuvre rassemble les principaux thèmes évoqués cette année : biographie et déclarations autobiographiques, recherche d’identité, dynamiques familiales, problématiques, les évènements traumatiques personnels ou sociopolitiques, l’exclusion, la cruauté, la justice. C’est aussi un film sur le triomphe de la beauté, de la créativité sur le sang versé, la destructivité et la mort ; une autre lutte entre Thanatos et Eros.


De même le film de Jafar Panhai « aucun ours », Maitre du cinéma iranien et en prison depuis longtemps, Laura Potrais lui a dédié son grand prix en espérant la libération de tous les artistes opprimés dans le monde. Le film a obtenu le prix spécial du jury.


Des 22 films retenus en compétition, nous retenons plusieurs thématiques :


1- La Maternité

Ce thème dans ses aspects psychologiques, est traité dans « Saint Omer » qui évoque le mythe de Médée Il a gagné le lion d’argent et le prix du meilleur premier film. La réalisatrice, une Française d’origine sénégalaise, Alice Diop, s’inspire de l’histoire vraie d’une jeune mère, Fabienne Kabou inculpée pour infanticide après avoir abandonné sa fille de 15 mois sur une plage à marée haute afin que la mer la recouvre. En 2016, Diop avait assisté au procès de cette jeune femme à ST OMER dans le nord de la France. Dans le film, le sujet principal est une femme de couleur, écrivaine et enceinte en grande difficulté affective avec sa propre mère L’ambivalence de ses sentiments à l’égard de la grossesse en cours rencontre, dans la fiction, celle de la femme infanticide. Comme elle, la jeune mère meurtrière s’était trouvée seule sans aucun appui et confrontée à la difficulté de soutenir sa maternité dans le chaos. De la même manière la jeune intellectuelle traverse un trouble existentiel qui devient un élément d’identification à l’inculpée. La réalisatrice inclut des images du tribunal sur le visage de l’accusée et aussi sur celui de la future mère intellectuelle et angoissée. Elle nous indique les limites de toute explication concluant à la condamnation aussi bien qu’à la relaxe. Pour nous cliniciens il est clair que Thanatos règne dans les cas d’infanticide. Ces cas sont trop souvent incompris ou minimisés. L’intérêt de ce film est aussi de montrer la grande complexité de ces situations, les risques courus et l ’aide nécessaire auprès de ces femmes à risque.

De même le film de Rebecca Zlotowsky « Les enfants des autres », interprété par Virginie Efira et Roschdy Zem, est une histoire vraie autobiographique centrée sur la maternité manquante ; il s’agit d’une famille recomposée ou la femme vient à s’occuper d’un enfant qui n’est pas le sien sur le plan biologique. Quand les rapports entre adultes se rompent les liens même profonds avec l’enfant se rompent. Ce film invite à réfléchir sur les affects primordiaux en jeu dans les nouvelles organisations familiales ou les rapports affectifs risquent d’être traités de façon commerciale.


2- Les relations familiales

« Love life », film japonais de Koji Fukada, raconte un drame familial complexe. Un jeune couple perd dans un accident tragique le fils que la jeune femme avait eu avec son premier mari, sourd et muet, qui réapparait après une longue absence inexpliquée. Le spectateur vit la douleur de la perte vécue et agie de façon diverse par chacun avec la difficulté de se comprendre et de la partager Il en résulte une réflexion aigue sur la solitude, aggravée par la surdité de l’homme, solitude qui tend à se dilater dans l’espace et dans le temps comme une condition anthropologique généralisée.

Florian Zeller, romancier, dramaturge, scénariste et multi primé pour « Le père », porte à l’écran « Le fils », œuvre inspirée par des émotions personnelles a-t-il déclaré. De nouveau il est question de dynamiques familiales conflictuelles si fréquentes dans les familles recomposées modernes. Peter, manager très occupé et déjà père d’un adolescent problématique réorganise sa vie frénétique avec une jeune femme dont il a un autre fils Ses rapports Avec l’ainé sont difficiles. Les racines en sont transgénérationnelles, Peter cherchant à ne pas répéter les difficultés vécues avec son propre père, Il se trouve à nouveau dans le pire de la relation père fils. Le personnage inspire peu d’empathie en raison de son refus de la répétition et de sa chute dans ce qu’il essaie d’éviter.

3- Les drames individuels

« Tar » de Todd Field est un film sur mesure pour Cate Blanchett. Elle reçoit la coupe Volpi de la meilleure actrice pour son indiscutable talent. Elle interprète magistralement Lydia Tar, une cheffe d’orchestre très connue, élégante, riche, puissante et passionnée mais aussi lesbienne et manipulatrice sans scrupule. Elle séduit et abandonne ses jeunes élèves et devient victime de son narcissisme. On trouve dans ce film les thèmes de la créativité et de la destructivité déclinés dans le champ de la musique et de solitude d’une personne dépourvue d’empathie pour ceux qui l’entourent. On voit ainsi comment les facteurs personnels jouent sur le collectif.

« The Whale » de Darren Aronofsky qui a déja gagné le lion d’or l’année précédente, est un drame interprété par Brendan Frasen déjà gagnant d’un « special award » d’interprétation. C’est l’histoire de Charlie, un professeur de littérature, homosexuel et obèse, et en fin de vie, qui tente de retrouver l’affection de sa fille adolescente, abandonnée lorsqu’il a rencontré l’homme de sa vie ultérieurement suicidé. Son seul soulagement est de lire ou de faire lire un écrit de sa fille qui parle de la baleine blanche de Melville. Le film est entièrement tourné dans la chambre de Charlie dans un bref temps d’une semaine Peu de personnages entrent et et sortent de la piéce tandis que dehors il pleut de façon continue. C’est un film intense qui touche profondément le spectateur.


4- Les conflits fratricides.

« Athena » de Romain Gavras, fils de Costa Gravas. A un titre qui renvoie à la déesse de la sagesse et aussi à un quartier de la banlieue parisienne. Un conflit entre les résidents et les forces de l’ordre fait une rencontre violente mise en scène avec force sang, sueur, feu flammes et fumée ; Il semble un remake de la « La haine »de Matthieu Kassovitz (1995) ou plus récemment de « les misérables » de Ladj Ly (2019) avec des personnages stéréotypés, la voix de la mère au téléphone qui d’une scène à l’autre réclame un fils ou l’autre .En réalité, des trois fils l’un est policier, l’autre le chef des révoltés et le troisième le crimininel le plus cruel du quartier.

Un autre film met en scène la violence des conflits fratricides « The banshees of Inisherin » du dramaturge Martin macDonagh. Un de ses acteurs, Colin Farrell, a gagné la coupe Volpi du meilleur interprète. Au premier plan il y a la rupture incompréhensible de l’amitié entre Padraic (Colin Farrell) un jeune homme simple « nice » comme il se définit lui-même, et Colm un ancien violoniste obsédé par l’idée de laisser derriere lui quelque chose de mémorable. Ce dernier enchaine une escalade de violence et de conduites auto-destructrices pour tenir loin de lui Padraic qu’il ne supporte plus. En contexte il y a la guerre d’Irlande du début du siècle passé dont les échos arrivent jusqu’ au lieu fermé où se passe le film.

Ce film s’apparente au théatre de l’absurde qui met en scène la lutte insensée entre les hommes tandis que, d’une ile lointaine et ancienne, on s’interroge sur l’angoisse du présent. Un film au souffle ample et aux horizons vastes qui se distingue de tant d’autres qui ne cherchent pas à ouvrir l’individuel sur l’universel.


Conclusion

En cherchant à faire une synthèse entre tant de récits filmés il nous apparait que le passage à travers la pandémie et le sens de la précarité et de l’incertitude qui ont été engendrés, ont affecté scénaristes et auteurs des films reçus à la Mostra de 2022. Ils ont regardé à l’intérieur d’eux même, repensé à la première personne leur histoire personnelle. Les histoires sont alors centrées sur un personnage unique ou sur un groupe restreint, amical ou familial, et tournées dans des lieux clos ou bien délimités.

Il est possible que cette tendance, présente aussi dans la littérature récente, corresponde de manière créative à la difficulté croissante des rapports « bidirectionnels » nourrissants, tout comme s’il était nécessaire de faire voir et confirmer sa propre existence à travers le regard des autres ; cette nécessité faisant passer au second plan la réciprocité des regards et des interactions.


*Brunetta G P (2022) La mostra internationale d’arte cinematografica di Venezia 1932—2022. Marsilio ed Venezia

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