UNE SOCIETE FRANCAISE TOUJOURS EN OBSERVATION

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19 novembre 2023
DENI DE REALITE
8 décembre 2023
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UNE SOCIETE FRANCAISE TOUJOURS EN OBSERVATION

 

De réunions en lectures de journaux, mais aussi dans le huis-clos de nos cabinets, nous sommes régulièrement confrontés aux bulletins de santé de la société française : de la prise du pouls aux plus fins screenings, on ne peut pas dire que le tableau soit des plus réjouissants.

S’ajoutant aux facteurs internes, les récentes tempêtes et la marée noire auront marqué la fin de 1999, ramenant la crainte du bug/bogue et autres inquiétudes millénaristes à une plus juste mesure : le premier pouvait être prévenu, et l’a donc bien été, les secondes n’ont pas mobilisé les foules, le passage à l’an 2000 s’étant en réalité déroulé dans la plus grande sagesse. Nous nous attarderons sur trois points : la violence dans les établissements scolaires, une banlieue désespérée et la persistance des discriminations raciales.

Une enquête du Monde (26/11/99) rappelait que tous les indicateurs montraient une aggravation de la violence dans les établissements sensibles, surtout à Paris et en banlieue. Toutefois, la situation n’est pas irrémédiable, puisque le Collège Jean-Macé à Lille a retrouvé un certain calme sous la direction de Marie-Renée Rigal, qui déclarait : « La haine régissait les rapports adultes-enfants ». Mais c’est quand même au prix de toute une série de mesures, certaines très simples, comme des horaires décalés pour les 6e – 5e et les 4e – 3e, d’autres plus complexes, comme l’arrivée de deux infirmières, de deux assistants sociaux à temps plein et de onze aides éducatrices, ceci en raison du classement du collège en « zone expérimentale » Psy. Fr. nº 1.2000 pp. 217-240 tale violence », appellation peu rassurante au demeurant.

A Argenteuil, le Collège Eugénie-Cotton a lui bénéficié d’une équipe médico-sociale « qui permet un véritable travail d’écoute et d’aide aux élèves en difficulté », explique Françoise Cadart, la principale. Même si ces choses-là sont hélas bien connues, rappelons ce que disent des élèves : « La violence, c’est surtout dans la cour et devant le portail », une bagarre entre élèves pouvant se déclencher « d’un simple regard ». Sans parler du racket et de la loi du silence qui l’accompagne, des couteaux et des bombes lacrymogènes. Lorsque nous sommes confrontés dans notre propre exercice à ces violences – cela peut arriver aussi – ou à leur récit chez nos patients, il pourrait être intéressant de savoir si nous sommes nombreux à avoir connu de telles violences dans nos propres années scolaires. Des témoignages ou des opinions seraient les bienvenus, car la question qui se pose est aussi celle-ci : comment cela a-t-il pu aller « aussi mal aussi vite » (grosso modo, une génération) ?

Un élément paraît important à souligner aussi : des universitaires ont noté que les écarts régionaux dans la violence seraient en grande partie liés « à la stabilité des équipes pédagogiques, élément primordial dans la lutte contre la violence » (Éric Debarbieux). Ceci expliquerait la situation de la région parisienne, où arrivent de nombreux jeunes enseignants, qui s’empressent d’en repartir... L’Académie de Créteil fait ainsi figure de véritable purgatoire... Est également dénoncée la politique des « classes de niveau » qui crée des classes d’élite et des classes-poubelles (sic), à la cohabitation forcément explosive. L’insulte est devenue un mode d’échange « privilégié », entre élèves, entre élèves et professeurs, ceci parfois dans les deux sens. Elle peut céder rapidement la place à la violence physique, sans armes chez les filles, avec chez les garçons. Sur un plan strictement clinique, rappelons que beaucoup d’enseignants craquent face à ce climat, et développent inévitablement des attitudes phobiques vis-à-vis des élèves, qui rendent parfois problématique la reprise du travail après un arrêt prolongé.

Un autre reportage du Monde (11/12/99) revenait sur le quartier du Mirail à Toulouse, où le jeune « Pipeau » fut tué un an plutôt par un fonctionnaire de police. La description de la vie dans ce quartier est assez effrayante : un an après la mort du garçon de 17 ans et les affrontements qui suivirent, la population et les acteurs sociaux sont découragés. Les termes employés sont ceux de la psychopathologie : « Trop de stress, trop d’angoisse ». Et cela va même plus loin, puisque Françoise de Veyrinas, adjointe au maire, explique que « pas plus qu’ailleurs, nous n’avons trouvé de réponse à la délinquance dure de jeunes atteints de pathologies violentes [c’est nous qui soulignons]. Il faudrait les éloigner pour les soigner et préserver les autres ».

Il y a donc clairement un glissement vers le soin comme « traitement » de la violence dite des banlieues, qui devrait quand même nous rendre vigilants, même si parmi ces délinquants se trouvent certainement des personnes ayant besoin d’une prise en charge médicale. A l’opposé, « beaucoup de gens du quartier se déclarent malades. Malades de peur et de mal-être. On ne compte plus les arrêts de travail ou les cas de dépression », écrit Jean-Paul Besset. Un syndicaliste, Jean-Marc Izrine, parle de « l’intériorisation de la désespérance », d’une « détresse mentale totale », et de gens qui « pètent les plombs du jour au lendemain ». Outre les arrêts de travail, les demandes de mutation sont très nombreuses aussi, les appartements sont bradés (70 000 F pour un T4), et « la ghettoïsation du quartier s’accentue ». Dans son édition du 29/12/99, Charlie-Hebdo parlait aussi du Mirail en insistant sur le dispositif policier mis en place, et critiquait les effets du C.L.S. (contrat local de sécurité) qu’un éducateur accuse d’avoir « totalement étouffé la révolte des habitants, celle-là même qui aurait pu redynamiser le quartier ». Un autre éducateur explique la politique des « grands frères » : « On prend les plus grandes gueules pour en faire des éducs ou des flics.

C’est les interlocuteurs privilégiés des élus. (...) Nos banlieues sont de véritables laboratoires, où les politiques jouent aux alchimistes jusqu’à ce que ça leur pète à la gueule ». Il estime aussi que le policier devient un travailleur social, et les travailleurs sociaux des auxiliaires de police. Aucune critique ne serait admise de la part des acteurs de terrain, conduisant à une « mort lente » les éducateurs ayant une conscience politique. La lecture de ces articles laisse entrevoir tout autant la confusion croissante des rôles (soin, travail social, police et justice) que la mise en œuvre d’une politique qui apparaît plutôt répressive : sommes-nous bel et bien entrés dans l’ère de l’« enflure sécuritaire » (1) ? Une autre enquête parue dans Le Monde (17/12/99) revenait sur les discriminations raciales à l’œuvre « dans les entreprises, le secteur du logement et même l’école », « un mal dont les auteurs ne sont pas (1) Que fait la police ? no 57, 1/00 – Observatoire des libertés publiques, 7/9, passage Dagorno, 75020 Paris. AU JOUR LE JOUR 219 toujours conscients, mais les victimes toujours meurtries ».

De manière très pertinente, l’article revient sur l’évolution du débat public, la dénonciation du communautarisme ayant succédé dans les années 90 à la célébration des différences. Christine Garin, Marie-Pierre Subtil et Sylvia Zappi soulignent à juste titre que « les succès de l’intégration, l’émergence de générations entières parfaitement françaises et au physique arabe, africain ou asiatique ont rendu ces pratiques [de discrimination] difficiles à accepter dans un pays qui se dit inventeur des idées égalitaires et prétend mieux les respecter en refusant toute référence aux origines ethniques ». Les jeunes issus de l’immigration, et sans doute bien d’autres avec eux, attendent effectivement « de la République qu’elle respecte sa propre devise ». Notons encore ce point de vue d’un sociologue, François Vourc’h, qui estime que le jeune issu de l’immigration fait à l’embauche « l’objet d’un traitement spécifique jamais formulé ». Lorsque le postulant est éconduit, « il entre, à tort ou à raison, dans un processus de victimisation, de repli sur son groupe d’origine et, dans le pire des cas, de racisme à l’envers, tourné vers les Français, autrement dit les Blancs », poursuivent les journalistes. Et la note finale est cette fois optimiste : l’opinion refuserait très largement l’injustice liée aux discriminations, ce qui signifierait que la société française serait (enfin ?) prête à y remédier. Restons encore dans un climat optimiste, pour rappeler le succès croissant des repas de quartier et d’immeuble, depuis l’initiative toulousaine du Carrefour culturel Arnaud-Bernard (1994). C’est ainsi qu’un ensemble H.L.M. du 11e arrondissement de Paris, regroupant cinq cents personnes, a renouvelé sa vie sociale autour de fêtes et d’actions d’entraide : les graffitis y sont discrets, les dégradations illimitées et les cambriolages inconnus... Enfin, le 16 juin 2000 sera la journée nationale des repas de quartier.

 

Jean-Yves FEBEREY (Nice)

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