15 ANS APRES, OU COMMENT EN FINIR ?
15 septembre 2024GASPARD DE LA NUIT – Commentaire par le Dr Alain KSENSEE
30 septembre 2024GASPARD DE LA NUIT
Avec « Gaspard de la nuit », Elisabeth de Fontenay propose un livre bouleversant, un document clinique sur la pathologie mentale de son jeune frère, qui devrait intéresser au plus haut point nos collègues. Cet ouvrage permet aussi de faire connaissance avec Elisabeth de Fontenay, philosophe contemporaine discrète et à la pensée profonde, que je présente en même temps que son dernier ouvrage.
Elève de Jankélévitch, admiratrice de Nietzsche, de Foucault et de Derrida, elle se décrit comme Juive (par sa mère qui échappa de justesse à la Shoa), sans foi, matérialiste, athée et surtout sans paroisse.
E de Fontenay est un auteur reconnu pour ses travaux sur Diderot puis sur la souffrance animale ; elle plaide pour un psychisme animal ; darwinienne, elle insiste sur la continuité entre l’animal et l’humain, sans sous-estimer le saut entre espèces que constitue l’émergence du langage articulé. Aussi sa réflexion se porte-t-elle volontiers sur les marges et les continuités.
A ce propos elle s’explique sur la définition philosophique du terme de » concept » : pour elle, il s’agit d’une représentation abstraite qui unifie l’expérience et qui fait des aller et retours entre l’expérience et la pensée.
Elle se décrit comme « sang mêlé » c’est à dire ne jamais être dans le droit fil, ne pas être là où on l’assignerait d’être. Matérialiste mais non réductionniste, matérialiste, au sens de Nietzsche, de refuser de céder à la tentation du sens et de l’interprétation rassurante « ne pas faire hémorragie de sens «. Elle est française et se sent juive car partie prenante du destin tragique des juifs d’Europe.
Gaspard de la nuit enfin. Un livre poignant sous ce titre musical. Un recueil de courts textes cliniques narratifs, récits familiaux, épisodes de vie commune avec ce frère cadet maintenant âgé, dont elle ne cesse de s’occuper et qu’elle porte depuis toujours et particulièrement depuis la disparition des parents. Il y a aussi l’héroïsme de leur mère qui a tenté en vain de « greffer en lui des structures de calcul ou de grammaire ». Le prénom Gaspard est un pseudo derrière lequel se cache le vrai prénom (qui commence par un G initial) et « Gaspard de la nuit » à cause de l’œuvre de Ravel et de la nuit dans laquelle son frère est plongé faute d’avoir accédé à la condition de sujet.
Ce frère est handicapé mental mais non réductible à une parole diagnostique ; il est un être coupé du réel, coupé du principe de causalité. La causalité ni le temps ne représentent rien pour lui et de ce fait il est radicalement séparé des autres humains. Elle dit souhaiter que la médecine arrive un jour à comprendre, à expliquer. Sa propre vie, à elle, est de s’acharner à fabriquer du sens autour de lui, au nom de leur enfance partagée, à écrire et philosopher pour le ramener parmi les humains, le faire exister sans parler à sa place.
Elle est attachée au Poème de Victor Hugo (dans « les Voix intérieures »), ce cri d’amour pour le frère ainé du poète, schizophrène, interné à Charenton, déchu par la maladie mentale de son titre de vicomte d’Empire.
« Tu n’as rien fait de mal, tu n’as rien fait d’étrange
Rien n’a souillé ta main ni ton cœur dans ce monde
Ou chacun court, se hâte, et forge et crie et gronde
A peine tu rêvas ! »
Sans doute, écrire ne soigne pas le chagrin, mais écrire donne un statut, dans l’être, à une douleur totalement informulable.
Monique BYDLOWSKI
Suivre dès la semaine prochaine le point de vue du Docteur Alain KSENSEE sur ce texte…
Ecoutez aussi l’interview d’Elisabeth de Fontenay sur France culture :
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