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LES LUMIERES DE LA VILLE

 

Voici des années que je n’avais pas regardé un film de Charlie Chaplin et j’ai décidé l’autre jour d’en montrer un aux enfants. Charlot, c’est toujours une valeur sûre ! Alors à l’occasion d’une soirée d’hiver, tandis que le froid avait recouvert le ciel étoilé d’un épais manteau de brume, nous avons rallumé sur le téléviseur la vieille lanterne du cinéma.

Le format 35 mm a d’abord eu du mal à entrer dans le cadre, puis après quelques tentatives, les néons de la ville ont imprimé sur le gros grain gris de la pellicule les rais de la lumière dans les contrastes des formes.

En le redécouvrant après toutes ces années, je trouve que Charlot n’a pas vraiment changé. Ce qui me surprend aujourd’hui, c’est plutôt l’effet de matière produit par les filets de la lumière, leur écho d’argentique et les ombres des hommes qui s’y dessinent, comme un artefact cinématographique qui reviendrait jusqu’à nous. On raconte souvent à propos de ce film combien de difficultés Charlie Chaplin rencontra pour suggérer par le détour de l’image muette l’histoire vécue par ces deux indigents, la jeune marchande de fleurs aveugle et l’homme pauvre grâce à qui elle retrouvera la vue. Pour nous qui habitons la planète du XXIème siècle et qui nous abreuvons d’une profusion d’images quasi-lyophilisées, le grain de l’argentique fait l’effet d’une poussière sur la pellicule du virtuel. D’abord aveugles aux rayons de cette image d’un autre temps, nous avons écarquillé les yeux pour scruter la parole qui manque et suivre dans les plis du visage les ridules expressives de la figure et du mime. Ici, l’écran sourd d’un silence ouvre les secrètes aspérités de l’inexprimé dans les stries tranchantes du clair et de l’obscur.

Me reconnaîtras-tu semble dire Charlot dans les replis d’un sourire à sa jeune amie qui a désormais recouvré la vue ? Seras-tu devenue au détour d’un changement de sensibilité aveugle à ma voix et sourde à mon visage ? Depuis les froidures d’un hiver sombre, nous avons immergé nos regards dans les lumières de la ville en regardant Charlie Chaplin quitter, à l’occasion de ce film, le monde du cinéma muet. Il nous a semblé en le regardant éteindre les lumières de cet art aux bourdonnements silencieux que sa caméra dessinait dans les déclinités d’un regard le visage de nos propres cécités et que ses rires ou ses gags en se répétant à l’ombre de nos propres images en faisait entendre l’écho invisible, ou les profondeurs oubliés. Il nous aura fallu finalement cette quasi-indigence de l’image, cette pauvreté qui suffit bien assez, pour nous réveiller de nos propres aveuglements, nous-autres qui sommes devenus sourds aux images et aveugles aux sons, noyés que nous sommes dans le trop plein virtuel du monde et des choses.

 

Mathilde MARES

1 Comment

  1. Dr Maya Evrard dit :

    magnifique texte ^plein de poesie comme les  » billets d’humeur » que j’aime ..
    merci!

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