PRISE EN CHARGE DES PATIENTS PSYCHOTIQUES INCARCERES : CADRE DE SOIN ET MEDIATION SENSORIELLE

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PRISE EN CHARGE DES PATIENTS PSYCHOTIQUES INCARCERES : CADRE DE SOIN ET MEDIATION SENSORIELLE

Les troubles psychiatriques sont surreprésentés en milieu carcéral. Falissard et al. (2003) ont mené une étude à la demande du ministère de la Santé et du ministère de la Justice. Les résultats de cette enquête ont démontré une prépondérance en milieu carcéral de 6,2 % pour la schizophrénie contre 1 % dans la population générale. L’étude plus récente de Planke L. et al. (2017) quand a elle met en évidence 6,7 % de syndrome psychotique en milieu carcéral contre 4 % sur une population composée majoritairement d’hommes âgés de 27 ans en moyenne.


Depuis le début de notre exercice en milieu carcéral, nous nous sommes questionnés sur la présence de ces patients, sur les incohérences selon nous de leur prise en charge dans le système actuel. Ces patients ont commis des actes délictueux et/ou criminels, la prison a pour but de protéger la société en y éloignant les délinquants, elle a également une mission de réinsertion après celle de punition. Comment des personnes avec un diagnostic de psychose peuvent vivre, ressentir et projeter leur incarcération alors qu’ils ont en général une symptomatologie souvent en rupture avec la réalité et un vécu de leur passage à l’acte en décalage ?


L’article 64 du code pénal de 1810 entraînait que la pathologie psychiatrique interrompait la procédure judiciaire : « ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister ». La transgression est niée si l’auteur présente des troubles psychiatriques. Cette dichotomie évolue un siècle plus tard avec la circulaire Chaumié qui indique une atténuation de la peine pour les personnes qui présentent un trouble mental et qui sont reconnues comme responsables de leurs actes. Dans les faits, l’atténuation de la peine n’est pas toujours mise en place, on pourrait même constater une augmentation de la peine du fait de l’atrocité des actes commis, et de l’ampleur médiatique de ces affaires, faisant de la schizophrénie bien souvent une représentation dangereuse et effrayante.

Actuellement, l’article 122 du code de procédure pénale prévoit une abolition du discernement (122-1 du CPP) mais également une altération (122-2). Lors de l’arrestation, si les personnes présentent des troubles psychiatriques, elles peuvent être hospitalisées afin de recevoir des soins. Une fois stabilisées, elles sont emmenées en prison en mandat de dépôt en tant que prévenu le temps de l’enquête, qui, pour une affaire criminelle peut durer trois ans.

Nous avons pu rencontrer plusieurs patients dans cette situation, qui, donc en mandat de dépôt, en détention ordinaire sont orientées en hospitalisation de jour du Service Médico-Psychologique Régional (SMPR), en milieu carcéral, pour prise en charge psychiatrique. Ils rencontrent un expert qui conclut à une abolition du discernement, une contre-expertise est le plus souvent demandée. L’organisation de toutes ces démarches prend du temps et même si la première expertise est rendue dès la première année de mandat de dépôt, celui-ci pourra être renouvelé. Lors de l’arrestation ou en garde à vue, si les personnes présentent des troubles d’allure psychiatrique, elles sont hospitalisées et peuvent y être soignées le temps nécessaire à leur stabilisation. Puis, elles retourneront en garde à vue et seront incarcérées selon la décision. Arrivés en détention, ils peuvent aller en bâtiment et les services de soins ne sont pas toujours informés de leur parcours. Ainsi, nous observons très souvent des ruptures de traitement, avec pour conséquence, un retour de la symptomatologie aigue.

Nous pourrions écrire tout un article sur ce qui nous parait incohérent, non bénéfique pour ces patients ; cependant l’objet n’est pas là. Ces patients sont incarcérés et nécessitent des soins adaptés à leur problématique.

L’univers carcéral est un lieu de punition. Mais, bien au-delà, il est un lieu de vie pour les détenus, un lieu de rencontre avec une institution au fonctionnement totalement inhabituel, que l’on pourrait qualifier d’étrange. Cette confrontation à un lieu inconnu, qui impose une autorité et un ordre, qui apporte un cadre de vie privé de liberté et qui a un impact sur l’espace, le temps et le corps des détenus, a forcément des conséquences sur ces derniers.

Les détenus passent la majorité de leur temps en cellule excepté lors des promenades, des parloirs, et pour ceux qui en ont, des activités (scolaires, sportives) et du travail. La présence du regard de l’autre est omniprésente. Ainsi, les actes quotidiens sont à la vue des autres, et l’intimité est mise à mal. Dans ce cadre, les autres peuvent aussi bien être les surveillants pénitentiaires que les codétenus. Au travers de l’incarcération, la contrainte du corps est toujours présente, l’éprouvé corporel est important suite à la perte de l’intimité corporelle. Ce corps est soumis à une surveillance constante de la part des surveillants en allant jusqu’à la fouille au corps, et de la part des détenus du fait de cette promiscuité. Le corps est mis à nu et devient un objet de surveillance et de méfiance mais aussi un lieu de manifestation de l’angoisse. Le corps devient le support de la plainte pouvant aller jusqu’à l’automutilation voire au suicide, permettant au corps de se donner à voir dans un univers où règne ce contrôle visuel.


Le monde social environnant change, il faut alors que le sujet renonce à son environnement habituel présupposé, pour s’adapter et s’ajuster à ce nouvel environnement en improvisant, en essayant de mettre en place de nouveaux repères. On peut supposer que lorsque les détenus n’ont aucune activité ni relation sociale... ils n’ont ainsi plus aucun objet à investir, la libido reste libre et une partie se retourne sur le moi. Face à cette pulsionnalité importante, une angoisse massive peut surgir, ce qui peut être à l’origine de passage à l’acte et de phénomènes de violence. On peut supposer que cette violence est la conséquence de l’incarcération et des conditions de vie des détenus : promiscuité, dépendance qui entraîne une certaine régression, perte des repères...

Selon Lhuilier (2000), Schilder définit l’image du corps comme une structure toujours mouvante qui articule le psychologique, le biologique et le social. L’image du corps se fonde sur une base somatique, la libido vient lui donner un sens et une structure. L’incarcération peut alors entraîner une perte du sentiment de soi, du contrôle de l’usage de son corps et de son environnement, ce qui a pour conséquence d’altérer l’image du corps et ses limites, constituées par l’enveloppe. On constate un désinvestissement du monde extérieur et une dépersonnalisation du fait de l’incarcération et de ses conséquences comme la perte des repères et de l’identité et l’adaptation à la vie en détention (Lhuilier, 2000). On observe des troubles, des pertes sensorielles qui font suite à l’incarcération : de l’olfaction, de la vue, de l’audition... À ce sujet, Gonin (1991, p. 87), parle de « dépouillement sensoriel ». Il précise que face à la perte des repères spatio-temporels, les personnes incarcérées sont souvent sujettes aux vertiges et à des pertes d’énergie. En effet, nous constatons que l’environnement carcéral génère une perte des sens chez les détenus. Ces pertes concernent notamment le goût et l’odorat. Une modification de la perception auditive, un rétrécissement du champ visuel et un tabou du toucher. On observe également de nombreuses problématiques alimentaires avec un désinvestissement du goût qui est peut-être lié à un rétrécissement du choix alimentaire. Dehors ils ont le sentiment du choix, en prison la nourriture arrive sans choix sauf s’ils cantinent. Il faut s’approprier le choix ce qui entraîne une modification des capacités d’appétence (ce qui vient interroger les désirs et envies des détenus). Cette perturbation des sens nous a poussé à nous interroger sur la façon dont les sujets pourraient se réapproprier des expériences liées à leurs capacités sensorielles.

Selon Lhuillier (2000), la prison est à la fois restauratrice et mortifère. À la fois elle permet un accès aux soins et des conditions de vie garantissant les besoins nécessaires (alimentation, accès à l’hygiène) à tous détenus. Là où elle est restauratrice c’est normalement lorsqu’elle permet ceci à des populations marginalisées et affectivement carencées où l’extérieur est, lui, vécu comme mortifère. On parle alors de « bonne prison », une prison « maternante » protectrice, qui assure les besoins élémentaires. On observe au sein de la population carcérale, un développement de manifestations psychopathologiques réactionnelles aux conditions imposées par l’incarcération. Ces manifestations peuvent être de plusieurs ordres : certains auteurs parlent de « psychose carcérale », on peut également voir apparaître des troubles psychosomatiques, des troubles alimentaires, des syndromes dépressifs, des troubles du comportement (dont les automutilations, les tentatives de suicide...), des troubles psychiatriques, ainsi que des troubles addictifs, des troubles dermatologiques...


Comment supporter la prison lorsque la perception de la réalité est altérée ? Si la prison, dans la configuration architecturale et les règles qu’elle impose, peut-être perçue comme contenante pour certains, pour d’autres elle entraine une instabilité importante ; l’intrusion permanente et la persécution sont au premier plan avec le fait d’être visible en permanence, la présence de l’œilleton, le regard des surveillants sur eux, la cohabitation en cellule. La psychose comme pathologie des limites avec une indifférenciation dedans/dehors, soi/non-soi est fortement déstabilisée par le cadre carcéral. Tout, doit passer par des demandes écrites, que ce soit les demandes de travail, de formation, de sport, de soins... Pour autant un patient psychotique en souffrance est-il réellement en capacité de formuler des demandes ? Dans la pratique nous nous rendons bien compte à quel point ces patients se font oublier. Ils sont souvent repérés par des notices individuelles du juge, ou des signalements de l’administration pénitentiaire.


Chez les sujets psychotiques, nous constatons que l’image du corps fait défaut tout comme la perception du monde environnant. En effet, les limites du corps sont peu délimitées ainsi la différence entre soi et l’autre n’existe pas ou très peu. La dépersonnalisation majore notamment ce vécu. De ce fait la non-reconnaissance de la représentation de soi, entraine une altération des relations objectales. La différence entre moi et non moi est problématique, ce qui entraine un vécu du corps morcelé, il n’y a donc pas de sentiment d’unité du corps. Ainsi les fonctions du Moi-Peau d’Anzieu (1985) font défaut : défaut de la fonction de contenance (le sujet se retrouve dans des confusions dedans-dehors, ainsi ses expériences ne sont pas contenues ce qui est source d’angoisses et d’un sentiment d’insécurité), de pare-excitation (il n’y a pas d’étayage suffisant sur le corps pour permettre de protéger l’intrusion des stimulations externes qui pénètrent et font intrusion au sein de l’appareil psychique), d’individuation (ces sujets perdent le sentiment d’unicité, d’intersensorialité (ces sujets ne se perçoivent pas comme étant à l’initiative de leurs actes et attribuent ces derniers à autrui), de maintenance (les ressentis émotionnels peuvent être déniés car ils peuvent être vécus comme étant menaçants).


À la naissance, le bébé est indifférencié de sa mère, ses sensations ne sont pas reliées entre elles, elles sont comme morcelées. Ce sont les différentes expériences corporelles soutenues par l’environnement maternant qui permettent qu’une mise en sens de ces sensations puisse se faire et donne accès à une unité corporelle avec un sentiment de sécurité interne qui est à la base du processus d’individuation. Winnicott (1992) a précisé l’importance de l’environnement maternant dans son rôle de maintien physique et psychologique face aux expériences du bébé. Il décrit les fonctions nécessaires de l’environnement pour permettre cette unité corporelle, ces enveloppes contenantes : Le handling correspond à tous les soins apportés par la mère à son bébé tels que l’alimentation, la toilette... Le holding est à la fois psychique et corporel. Il assure une continuité des soins tout en s’adaptant aux changements des besoins de l’enfant. Il va permettre à l’enfant de se sentir contenu dans un premier temps par son environnement puis à l’intérieur de son corps. La mère, en satisfaisant les besoins de son enfant au bon moment va lui permettre de se créer une base de sécurité interne qui sera le socle de son développement corporel et psychique. L’expression de Winnicott « la mère suffisamment bonne » signifie que cet environnement maternel « suffisamment bon » par ses comportements, attentions, regards à l’égard de son enfant, va permettre à celui-ci de se construire et de garantir son intégrité physique et de se vivre comme étant différent du corps de l’autre. Ainsi, se construit la base de son image corporelle, de son narcissisme de base. L’object presenting est la manière dont les parents présentent le monde environnant et ses objets à leur enfant. Ce qui permet à l’enfant de prendre conscience de l’environnement extérieur mais aussi de la présence d’un autre, un tiers. Il permet à l’enfant de s’appuyer sur d’autres supports que la mère. Cet environnement sensoriel permanent qui entoure l’enfant lui permet ainsi de constituer une enveloppe contenante et unifiée. La sensorialité est ainsi la base du développement psychocorporel et donc de la construction de l’identité.


Afin de pouvoir travailler avec les patients présentant des troubles psychotiques, il faut pouvoir proposer un cadre répondant aux besoins cliniques de ces patients. : un cadre contenant à la fois structurellement (par les murs de l’institution) mais aussi par le positionnement professionnel des soignants. La tâche s’avère d’autant plus difficile que ce lieu de soin est en prison et que la prise en charge est dépendante d’un tiers représenté par l’administration pénitentiaire.

Balier (2005) parle d’un cadre thérapeutique qu’il nomme le « double cadre ». Ce cadre est constitué du cadre externe représenté par le système judiciaire avec les règles et lois qu’il impose. Le second cadre, le cadre interne, est constitué des soignants dans un espace dédié uniquement aux soins avec une règle : communiquer. Selon lui, il est également indispensable d’assurer un système de pare-excitation. C’est l’équipe, qui, par son travail de pensée, de partage de l’intégralité des informations concernant les patients, va permettre l’action thérapeutique. Ainsi, le travail psychique de l’équipe soignante va pouvoir assurer une fonction de contenant.

La théorie de Winnicott prend donc tout son sens ; les soins médicaux, infirmiers comportent cette double dimension psychique et physique avec les patients, ce qui peut être rapproché de la fonction de holding de la mère. Cependant, les soignants n’accèdent pas à l’état qu’est « la préoccupation maternelle primaire » dans lequel se trouve la mère. Pourtant, ils remplissent certaines fonctions que l’on rencontre dans cet état comme l’empathie, la bienveillance, la malléabilité. Au-delà de ces aspects, les soignants doivent également montrer une solidité, une sécurité. Collot (2011) va jusqu’à parler de « préoccupation thérapeutique primaire ». Le thérapeute ayant une « hypersensibilité envers le patient » (Collot, 2011, p. 49) va pouvoir ainsi recourir à ses ressources afin de s’accorder au mieux à l’état et aux besoins du patient. Pour atteindre cet état de « préoccupation thérapeutique primaire », le thérapeute doit avoir une attention très importante de ce qui se joue chez le patient.

Un premier exercice de plusieurs années au sein d’une unité sanitaire de niveau 1 (1) nous a confronté à la prise en charge des patients psychotiques et la difficulté qui en découlait de par notre solitude face au patient. Nous avons pu rencontrer les troubles psychotiques comme nous les rencontrons rarement ailleurs en tant que psychologue, sans prise en charge médicalisée. Cette situation pouvait durer le temps du travail d’incitation nécessaire pour que le patient accepte de rencontrer le médecin psychiatre. Très souvent, ces patients ne sont pas en capacité de faire une demande de soins. Comment créer un lien de confiance avec certains patients incarcérés vivant la détention et les personnels pénitentiaires comme leur étant hostile ? Comment les orienter vers les autres professionnels de l’unité sanitaire ? Comment les faire adhérer aux soins lorsque l’on est uniquement sur un modèle de prise en charge de consultation ambulatoire et que s’ils ne se manifestent pas auprès du personnel pénitentiaire, ils ne pourront pas venir à l’unité sanitaire ? De plus, ces patients ont tendance à s’isoler, se renfermer et ne plus sortir de leur cellule, ainsi, ils se font oublier, jusqu’à ce qu’ils soient signalés pour troubles du comportement (agressivité, violence, bizarreries, incurie...). Sur l’ensemble de ces questionnements nous avons en équipe été confrontés à la nécessité de penser le cadre de l’accès au soin de ces patients : accepter les demandes de ces patients (demandes concernant leur argent, leurs conditions de détention...), ou d’entendre et accepter la plainte somatique qui n’est bien souvent que le déplacement de la souffrance psychique. Il faut être créatif dans les prises en charges, utiliser les médiations, se mettre en lien avec les différents partenaires, afin que la relation puisse s’instaurer. Tout ceci pose de nombreux défis éthiques et déontologiques qu’il faut sans cesse questionner pour ne pas dépasser la limite.

Pour rappel, il n’y a pas d’obligation de soins en prison. Pour autant, pouvons-nous laisser les patients qui nous paraissent en souffrance psychique et qui ne peuvent pas faire de demande d’aide ? Ainsi, quand ils disparaissent en ne venant plus au rendez-vous, les professionnels peuvent aller faire l’équivalent d’une « visite à domicile » en cellule pour aller à leur rencontre. Au même titre qu’à l’extérieur la psychiatrie de secteur se rend au domicile des patients.


Dans le cadre de notre exercice en unité sanitaire de niveau 2 (2), notre activité est bien différente, car les patients arrivent sur l’unité souvent en pleine décompensation, puis la prise en charge psychiatrique débute d’emblée. Nous prenons donc en charge les patients une fois qu’une certaine forme de stabilité semble acquise. Cependant, nous sommes confrontés à de nombreux patients très jeunes, entrant dans la maladie avec un déni des troubles important et qui bien souvent ont une pensée désertique. La prise en charge individuelle est de ce fait très difficile. Le recours aux médiations en individuel (carte des émotions, sensations, besoins, photolangage, collage...) est plus que nécessaire et la prise en charge groupale à médiation prend d’autant plus de sens. Celle-ci semble être un moyen de diminuer l’angoisse liée à la rencontre, de mettre en mouvement la vie psychique de ces patients qui sont pris par des mécanismes archaïques. De ce fait, ces patients sont dans un repli très important, avec un accès à la parole qui paraît couteux pour eux, nous avons donc fait le choix de proposer une médiation s’appuyant sur la sensorialité. De plus, celle-ci étant à l’origine de la construction de l’identité, avec un soi unifié et indépendant de l’autre ; donc face à la problématique de l’image du corps des patients psychotiques, il nous paraissait évident que le recours à la médiation sensorielle était un bon moyen de travailler avec ces patients.

Le groupe permet la constitution d’une enveloppe groupale permettant de contenir la dimension fantasmatique et identificatoire. Au niveau individuel, ce travail de groupe permet de relancer une dynamique psychique amenant ainsi le sujet à travailler sur ses capacités de symbolisation et de mise en lien entre éprouvés corporels, affects et représentations. Au travers de ce groupe nous souhaitons donc stimuler les capacités sensorielles des patients afin de leur permettre d’accéder à leurs propres émotions, affects et ressentis : nous sollicitons un sens à chaque séance et parfois nous en couplons plusieurs pour permettre de mobiliser l’expérience sensorielle. Par celle-ci, c’est une reconnaissance de ces expériences comme étant à l’origine de ressentis internes qui peut s’effectuer. Nous n’avons pas fait le choix de privilégier un seul sens car nous avons tous un canal sensoriel principal qui peut faciliter la réactualisation de traces mnésiques. Il s’agit finalement d’un travail qui permet d’intervenir sur la chaîne associative sensorimotrice et un travail de réminiscence, et donc, de se revivre comme un individu, différent de l’autre, avec ses propres souvenirs et expériences, dont la finalité serait la réappropriation de son histoire et de sa subjectivité.


Dans un premier temps, nous constatons que les patients explorent plus ou moins difficilement le matériel proposé. Ils sollicitent beaucoup les professionnels pour savoir ce qu’ils font et à quoi correspond le matériel. Les professionnels étant à ce moment un soutien à l’exploration, à la découverte de l’environnement. Peu à peu ils peuvent s’entraider, et s’exprimer, et n’ont plus besoin des professionnels dans la découverte se laissant aller à pouvoir exprimer des images et quelques souvenirs. La répétition de certaines stimulations sensorielles semble avoir permis une inscription qui laisse une trace et une appropriation progressive. Le passage de la sensation à la représentation participe au processus de symbolisation primaire qui est en échec chez ces patients en raison du clivage du Moi (Roussillon, 2012).

Le recours à cette médiation, basée non pas sur l’écoute verbale mais sur l’écoute sensorielle permet de mobiliser les patients autrement tout en pouvant donner du sens. Ceci permet de remettre du mouvement au sein de la vie psychique.


Gaëlle GASTÉ

SMPR Fleury Merogis CHSF Centre Hospitalier Sud Francilien.



Notes de l’auteur
  1. Les soins en prison sont organisés sur 3 niveaux. Le niveau 1 correspond aux activités ambulatoires : consultations et activités de groupes. Activité qui concerne autant les soins somatiques que les soins psychiatriques.
  2. Le niveau 2 permet une prise en charge à temps partiel. Les soins somatiques sont réalisés à l’hôpital et les soins psychiatriques se font dans le cadre d’une hospitalisation de jour au sein des unités de soins en milieu pénitentiaire.

Bibliographie
  • ANZIEU D. (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod.
  • BALIER C. (2005), De la transgression au déni de l’Humain, Champ psy 2, no 38, p. 13-30.
  • COLLOT E. (2011), L’alliance thérapeutique Fondements et mise en œuvre, Collection : Psychothérapies, Dunod.
  • FALISSARD B., ROUILLON F., DUBURCQ A., FAGNANI F. (2004). Enquête de prévalence sur les troubles psychiatriques en milieu carcéral.
  • GONIN D. (1991), La santé incarcérée, Paris, L’archipel.
  • LHUILLIER D. & coll. (2000), La prison en changement, Érès, France.
  • PLANKE L., SY A., Fovet T., Carton F., et al. (2017), La santé mentale des personnes entrant en détention, Lille, F2RSM Psy.
  • ROUSSILLON R. (2012), Agonie, clivage et symbolisation, Presses Universitaires de France.
  • WINNICOTT D. W. (1992), Le bébé et sa mère, Payot.

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