LE RETOUR À LA MÈRE

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LE RETOUR à la mère

 

J’ai récemment vu deux films qui m’ont donné à penser sur des sujets intéressants pour ceux d’entre nous qui s’occupent professionnellement de jeunes enfants, d’adolescents, de parentalité et plus particulièrement d’adoptions, et d’enfants soumis à des conflits de guerre. Ces films racontent deux cas d’adoptions très différents l’un de l’autre, mais avec des issues dramatiques.

A notre époque et sous nos latitudes, on assiste à un phénomène croissant concernant les enfants victimes de conflits de guerre et auxquels on tente de donner une éducation culturelle, linguistique et religieuse différente de celle de leur origine, tout en tenant compte du fait le plus atroce : le fait qu’ils aient été soustraits à leur famille d’origine, à leur société et ceci, pour en faire les citoyens d’une autre nation (comme une nouvelle naissance). L’affaire n’est pas nouvelle ; elle a souvent eu lieu dans le passé et dans des régions éloignées.

Actuellement c’est devenu une affaire européenne, sous nos yeux, mais aussi une affaire nouvelle sur notre continent (si l’on met de côté les dizaines de milliers d’enfants français perdus temporairement pendant l’exode de 1940). On en parle ouvertement. Cela concerne des centaines voire des milliers de mineurs expatriés vers le territoire russe du fait de la guerre en Ukraine, des mineurs dont on risque même de perdre toute trace, et qui tentent de construire de nouvelles racines.

Or il faut se demander comment ces enfants, ces adolescents, arrachés violemment à leurs repères affectifs quotidiens vont maintenir un désir de vivre, une coordination psychique cohérente et comment ils vont aussi pouvoir trouver dans leur nouvelle situation, des appuis pour un « être présent au monde » vivable sur le plan des relations aux autres. On peut aussi se demander comment ces cohortes de mineurs « non accompagnés », quelle qu’en soit la raison (départs solitaires ou morts familiales durant le voyage migratoire) vont faire face. Ils ont perdu leurs repères sociaux et affectifs ; ils sont jetés dans un monde rarement accueillant ; ils doivent s’adapter (nous ne savons comment) à des styles de vie et à des parcours identificatoires imprévus.

Cette pensée reste persistante : qu’en est-il de ces jeunes, adoptés dans un autre hémisphère, après avoir expérimenté des soins maternels peut-être inadéquats mais qui restent en eux, pour des décennies à venir, comme des interrogations parfois explosives et à l’origine de ruptures dans leurs liens actuels, faute de pouvoir organiser et reprendre le questionnement à son l’origine ?

En somme, on assiste à une série discontinue « d’adoptions », d’affiliation à des contextes humains nouveaux, alors que, jamais ne s’éteint la volonté, ni un minimum de désir, de récupérer quelque chose du contact maternel initial…

Je précisais qu’il s’agissait de deux films, tous deux présentés à Cannes, L’un est « retour à Seoul » en 2022 et l’autre : « Rapito » (Rapté) en 2023. Deux bons films d’auteurs de qualité : « Retour à Seoul » est le second film de Davy Chou, jeune réalisateur d’origine coréenne travaillant en France et « Rapito » est l’énième film de Marco Bellochio, grand réalisateur italien multi primé.

Les deux films sont au centre de l’expérience existentielle d’enfants : au masculin dans « Rapito », et le récit suit le développement jusqu’à l’âge adulte, et au féminin dans « Retour à Seoul » où la jeune femme fait un retour géographique au pays qui l’a vue naître et vers son passé subjectif. Pour le premier il s’agit d’un parcours qui se construit chez un trentenaire de la seconde moitié du XVIII° siècle et pour l’autre, il s’agit de la reconstruction d’un passé longtemps fantasmé et finalement obscur chez une trentenaire contemporaine.

Deux histoires d’adoption : l’une classique et traditionnelle pour la petite coréenne, fruit d’amours immatures de deux jeunes visiblement incapables d’assurer un avenir, le bébé étant confié à un couple parisien. En revanche, une adoption tout à fait anormale : l’histoire vraie d’Edgardo Mortara, sixième enfant d’une famille juive de Bologne, cité pontificale à l’époque. Dans ce film, le spectateur est amené à suivre les modalités que l’on peut qualifier de perverses selon lesquelles le bébé est arraché à sa famille pour obéir à une règle qui fera de lui, né juif, un petit catholique grâce à un baptême discutable, puis à une véritable adoption de la part du Pape en personne, tant et si bien que le jeune homme reconnaitra en lui une figure parentale substitutive. Dans le cas de « Fredie », la jeune coréenne devenue française, émancipée et mal à l’aise au début, dans la société coréenne, nous retrouvons les traces de tant de jeunes adoptés précocement qui, de façon plus ou moins ambivalente, “ flirtent” avec la réalité biologique de leur origine, attirés et effrayés par la confrontation directe à leurs géniteurs.

Les deux films se terminent par une scène très douloureuse pour les protagonistes. La mère, sujet central dans chacun des deux cas, comme lieu asymptotique de leur recherche, la mère rêvée et désirée depuis si longtemps dans la distance physique émotionnelle et culturelle, cette mère ne cédera pas à leur demande de reconnaissance… Dans ces deux cas, le temps a « cimenté » la rupture du désir et pour des raisons encore inexplicables, la tentative de la reconnaissance par la mère, reste inaboutie…

 

Par Lenio Rizzo, pedopsychiatre.

Traduit par Monique Bydlowski

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