MEDITATION

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MEDITATION, UN PEU D'HISTOIRE

 

Oui, pourquoi méditer.

Méditer, c’est penser sans souci d’efficacité politique. L’esprit humain ne peut rien créer à lui tout seul. Il ne produira quelque chose que fécondé par l’expérience et la méditation.

La méditation fabrique ou révèle du doute, et offre donc un matériel à la réflexion active, la sienne ou celle des autres. Elle est donc source de choix d’activité, que ces choix soient contraints ou non.

Cependant méditation n’est pas procrastination. C’est à chaque fois une expérience nouvelle provoquée par une demande extérieure, ou un besoin interne. Ce coup-ci, il s’agit d’une demande externe qui m’a d’abord laissé perplexe. Et c’est justement cette perplexité qui m’a mobilisé.

Je sais qu’on va dire qu’à un certain âge, il ne reste que la méditation. Rien n’est plus faux : du vieillard dément au vieillard donneur de leçons ; de celui qui ressasse ses souvenirs anciens, et qui regrette le bon vieux temps, celui de sa jeunesse, à celui qui ne décolère pas contre les nouveaux venus… tout est possible.

Mais si nous exerçons un peu, un tout petit peu, notre raison, quand la situation est bloquée, incertaine et anxiogène, la méditation est une des rares voies qui permette de transcender la « démoralisation » ambiante. Et je voudrais tenter d’appliquer cette méthode à la psychiatrie, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle va mal, de ses acteurs, à ses institutions, des malades (dont nous savons que le nombre ne peut, selon l’OMS, qu’augmenter), aux aidants et, au fond à toute la société, à toutes les sociétés connues, et même, allons-y, à toute l’humanité souffrante.

Une courte histoire, une longue préhistoire.

La médecine existe sans doute depuis qu’il y a des hommes sur terre. Et nous n’examinerons ici que la médecine humaine, bien que l’on sache depuis peu que des animaux aient des comportements -soignants et aidants. Mais pour qu’il y ait médecine, il faut bien, qu’en plus des comportements, il y a ait théorie et modélisation, c’est à dire de la pensée humaine. Depuis toujours, le souci d’atténuer les souffrances a été une préoccupation des individus et des groupes. Pour soi, bien sûr, mais en utilisant, voire en reprenant les connaissances et expériences d’autres hommes (savants, anciens, chamans). Il est bien difficile de voir un Autre soi-même, dans quelqu’un qui se tord de douleur…

Donc les manipulations et médicaments se perdent dans la nuit des temps.

Quand, en 1991, on a découvert, dans un glacier des Alpes, Ötzi, on a cru découvrir la première momie naturelle européenne. Et on a découvert deux choses importantes en ce qui nous concerne :

- qu’il pointait des tatouages (on les a appelés comme cela) sur des zones dont il devrait souffrir. Ces « tatouages » étaient déjà des traitements ou des conjurations.

- et que Ötzi transportait dans un sac des champignons vermifuges, alors qu’on a trouvé dans ses intestins des traces de vers.

Cela, pourtant est bien récent.

Dès le néolithique (10 000 à 22 000 ans avant notre ère (ANE)) on retrouve des trépanations, magiques, sacrées ou thérapeutiques… Et, à la même époque, des soins dentaires aux Indes et au Moyen Orient...

Plus ancien encore (42 000 à 50 000 ans ANE), sur le site de El Sidron, on a trouvé un homme atteint d’un abcès dentaire qui mâchait du saule blanc, qui contient de l’acide acétyle salicylique, ancêtre de l’aspirine.

Et si on accepte l’idée que les regroupements africains ont été (parmi) les premiers au monde, on sait bien que les pratiques médicales et religieuses, magiques, étaient présentes et même omni présentes dans la vie quotidienne.

En Egypte, servant de référence tant aux européens qu’aux africains, on a retrouvé les traces d’une intervention chirurgicale 28 siècles ANE. En fait, on pense que la création de la médecine vient d’Egypte, avec Imhotep (troisième millénaire ANE) dont le nom signifie « qui vient en paix ». Et, pour les amateurs de féminisme militant, il faut bien rappeler que, toujours en Egypte, entre 2670 et 2450 ANE, il existait un corps de femmes médecins, dirigé par Perseshet, considérée par beaucoup comme la première femme médecin.

Alors qu’il a fallu le septième siècle pour voir, ici, les premiers hôpitaux, et qu’il a fallu attendre Louis XIV pour créer un réseau d’hôpitaux, c’est Akosha, le grand empereur Maurya des Indes, qui commença à y faire construire des hôpitaux (vers 273- 237 ANE).

La suite est mieux connue : le code d’Hammurabi (18 siècles ANE) régente l’activité de médecin, puis le serment d’Hippocrate auquel nous nous référons encore. Mais là encore l’Europe semble bien avoir été coiffée au poteau par les Indes (33 siècles ANE), par Babylone (20 000 ans ANE). Et même par l’ancien testament qui évoque des précautions hygiénistes.

On peut tenter d’expliquer ce retard européen, même si depuis le XIX siècle, c’est à dire fort peu de temps, les systèmes de santé s’y sont particulièrement développés. Les animistes africains étant soucieux de leur proximité avec la nature, les maladies font partie de la vie quotidienne comme une rupture de contrat avec celle-ci : moustiques, mouche Tse Tse.

Quant aux bouddhistes, taoïstes, et confucianistes, il n’y a pas de morale religieuse venant perturber la réflexion et les actes. A très grand traits, la vie est écoulement et transformation permanente et successive, jusqu’à la réincarnation ; Comme un flux, (excusez la trivialité de l’image) comme un flux continu, oscillant et trouvant son chemin entre des aimants qui en modifient le cours, sans toucher au mouvement.

Plus tard, le Moyen Âge semble avoir été un âge d’or pour les médecins philosophes (et parfois hommes d’état) : Avicenne, Maïmonide pour ne citer que ces deux-là, aux horizons différents. Mais on ne parle guère des troubles mentaux, et encore moins de psychiatrie. Charles Brisset a retrouvé dans la bible la description et les soins apportés à la dépression du roi Saül.

Les animistes, pour faire sortir le mal personnifié du malade, ont besoin de phénomènes de possession (N’döep (danse de transe au Sénégal).

On retrouve des traces de (future) psychiatrie tout au long de l’histoire : chez Hippocrate, au Moyen Age (contention à domicile, colonies familiales). J’ai même retrouvé un médecin romain, Coelius Aurélianus, qui prenait la musique douce pour calmer les malades agités. J’ai même donné son nom à mon fils ainé (aussi à cause d’Aragon).

La Révolution française a créé une organisation collective de la psychiatrie. Il y eut un réseau national des asiles, un par département. Il y eut un corps de médecins des asiles. Il y eut un corps d’infirmiers psychiatriques.

Et le 19 siècle fit fructifier cette psychiatrie asilaire, en lui permettant, enfin, un corpus clinique propre à l’enseignement et à la transmission.

Ce fut la grande époque des cliniques descriptives, et des classements selon l’apparence. Les grandes cliniques tant françaises qu’allemandes, tendent toutes à réduire le nombre de catégories de maladies, jusqu’à cette distinction fondamentale entre névrose et psychose.

Ce n’est qu’au dix-neuvième siècle (1808) qu’on parle (enfin?) de médecine de l’âme, et seulement début du XX siècle, que les asiles, créés par la révolution Française, deviennent des hôpitaux psychiatriques. (1937 je crois) et ce jusqu’en 1968.

On peut dire que la psychiatrie, à travers ces quelques éléments historiques, a d’abord été diagnostique et préventive, en l’absence de véritable traitement connu, puis médicalisée. Pour calmer, on connaissait les effets du bromure ou des opiacés. Puis, plus tard, elle devenait plus neurologique : électro-chocs, lobotomies, voire comas insuliniques entre-autre.

Le relai fut pris, dès 1952 par le développement de la psycho-pharmacologie (les antidépresseurs datent de 1957, et depuis, plus de découverte vraiment marquante). Ces découvertes médicamenteuses furent une vraie révolution médicale et industrielle.

Trois révolutions, c’est beaucoup !

Cette psychiatrie que l’on pourrait dire pépère, tranquille, avec son organisation hospitalière particulière, avec ses chefs d’écoles (dont certains, et peut être déjà les plus influents fonctionnaient dans des cliniques privées : c’est le début du libéralisme capitalistique !)

L’essentiel des moyens thérapeutiques, du bain froid à la douche glacée, de la malaria-thérapie au coma insulinique, n’avait qu’un seul but : calmer des gens dont le comportement était dérangeant, et dérangé. On n’avait plus besoin de chaines pour cela. Sans doute la psychiatrie était dans sa niche et ne s’y sentait pas si mal que cela.

Sur ces quelques éléments, si l’on se risque à une étude comparative, on peut constater que les concepts de santé et de maladie sont depuis toujours liés et au moins visiblement, jusqu’au XIXe siècle, à la magie et à la religion. Mais toutes les religions ne l’abordent pas sous le même angle.

Dans une perspective europeano-chretienne (je ne supporte pas cette chimère de « judéo-chretien »), la maladie est liée à la détermination, la volonté d’un dieu unique, d’un chef, tout puissant. La maladie visible, via l’anatomie, les autopsies, est privilégiée. Elle montre aux autres la puissance de Dieu. Les souffrances internes, (romantiques) ne sont que simagrées.

Et si la maladie mentale n’est accessible que par ce qui est visible, démonstratif, alors le comportementalisme en est le dernier avatar.

Les traditions tribales et animistes insistent sur le lien entre la nature et les gens, et entre les gens eux même (possessions collectives, palabres, etc..). Le malade mental est possédé par une force nocive mais pourtant présente dans la vie quotidienne. Ce qui est à rechercher, est moins l’éradication du symptôme ou de la cause, que l’harmonie confortable pour tous, mais perdue.

On peut ajouter que l’on retrouve les presses d’une éco-médecine, et de modèles de société dont la concurrence généralisée serait supprimée. Dans les philosophies asiatiques, sans dieu unique, il s’agit d’un flux, le QI, entre ces deux aimants, le Yin et le yang. Qu’il s’agisse de pathologie physique ou mentale, il s’agit moins de la visibilité des choses, que de pathologie « décelables », de signes évolutifs et INTERPRETABLES. On y a arrive péniblement en Europe, via ce qu’on appelle un peu vite la complexité.

Le court vingtième siècle : ce court vingtième siècle, selon l’expression heureuse du grand historien Hobswann, se situe entre la première guerre mondiale, et les années cinquante, de reconstruction et de découvertes.

Cependant, pour bien des acteurs de cette période, pour nous fondamentale et fondatrice, cela dépendait beaucoup de leur expérience de l’affaire Dreyfuss (des certitudes sur l’armée douloureusement remises en question) et de la guerre mondiale et mécanisée.

Quatre révolutions en un temps si court, cela fait beaucoup. En quelques années, le paysage change du tout au tout. La première révolution (il n’y a aucun ordre hiérarchique dans cette présentation) date des années trente, avec la découverte de traitements : d’abord les électro-chocs puis, vers les années cinquante, les neuroleptiques. Brusquement, les classifications pouvaient conduire à des choix thérapeutiques : sédatifs, antidépresseurs, somnifères.

On peut simplement remarquer que cette révolution psychiatrique fut enchâssée dans la révolution médicale apportée par les antibiotiques et les anti-inflammatoires, dont les dérivés de la cortisone. La psychiatrie se trouvait alors aussi bien dotée que d’autres spécialités médicales.

La seconde révolution fut celle de la psychanalyse. Freud n’apportait pas qu’une technique thérapeutique particulière, mais une théorie générale du fonctionnement psychique, indépendamment de son ou de ses supports organiques. Une science était née. Je n’y reviendrai pas ici, tant j’aurais l’impression de radoter ce que je défends depuis des années.

 

S.D.Kipman

1 Comment

  1. KSENSEE dit :

    Ce billet est particulièrement intéressant cat il procède (du moins selon ma compréhension)comme une vaste étude historique qui prend comme référence, la souffrance humaine, à partira d’une méditation souveraine. Le fondement de cette référence nécessite, impose une ouverture à un être humain inhérent à condition humaine. Cette « ouvertude » (ce terme un peu « barbare » fut proposé à ce que je sais, par le Professeur Ferdier qui fut un « immense » professeur de philosophie » .) L’auteur de ce billet souligne sobrement que depuis la nuit des temps, il est difficile de vivre un « autre semblable » en proie à la souffrance comme un simple « autre », celui que je peux devenir. Toutefois, la réflexion de l’auteur semble suggérer, que pour notre Europe occidentale il y existe une forme de retard, du moins celle qui concerne l’ouverture à autre être humain qui souffre en son âme. Il le note avec la pertinence que nous lui connaissons car il est un lecteur fidèle et agit dans l’effort que cette édition numérique tente au côté de la Revue Psychiatrie Française en cours de « Re-création , de « La lettre de Psychiatrie française » et de l’Association Français dont il fut le Président. Cette chronologie et sa référence à la souffrance humaine me paraît l’indicateur et le fondement de notre existence professionnelle: celui de notre beau métier, celui de Psychiatre. Un Psychiatre, la Psychiatrie, du moins celle de l’Association n’est pas destinée aux seuls anciens psychiatres, mais aussi aux jeunes psychiatres, aux psychanalystes; et puisse les corporatismes réciproques lever leurs boucliers narcissiques aux psychologues, sociologues et j’en oublie. Ce billet précède de peu notre nouvelle rubrique intitulée: » A la Folie » qui tentera d’aborder l’histoire « monumentale » différente de l’histoire critique et de l’histoire des antiquaires selon les délimitations de Nietzsche) de la Psychiatrie. Entreprise périlleuse…..

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