DEVELOPPEMENT DE LA PSYCHOTHERAPIE AU XX° SIECLE – 2ème partie

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DEVELOPPEMENT DE LA PSYCHOTHERAPIE AU XX° SIECLE - 2ème partie

 

Introduction par Alain KSENSEE à la deuxième partie de l’article du Professeur Médard Boss.

Nous invitons le lecteur à lire avec attention cette deuxième partie de l’article rédigé en 1982 et publié en 1983 par le Professeur Medard Boss. La première partie est présente dans la rubrique intitulée article.

En effet cette seconde partie est consacrée à l’extension et la multiplication des méthodes psychothérapiques. Médard Boss insiste sur ces méthodes qui ignorent, ou veulent ignorer, leurs origines : la découverte de la psychanalyse et particulièrement sa pratique clinique. Cette extension fut caractérisée par Freud en 1918 comme le mélange de l’or pur de la psychanalyse avec le cuivre de la suggestion. Le lecteur pourra lire une réflexion sur cette « alliage » de Didier Houzel.

Le lecteur attentif remarquera que l’auteur n’évoque pas les méthodes fondées sur l’hypnose, car l’hypnose est une méthode qui a précédé la découverte de la psychanalyse. Elle fut abandonnée par Freud. Les raisons de cet abandon furent selon Freud, essentiellement clinique : la disparition et la réapparition relativement rapide des symptômes. Certains auteurs évoquent une autre raison : celle d’utiliser un pouvoir que le patient « prête » au psychanalyste. Pour ma part, je me demande s’il ne s’agit pas de l’effet caché de ce que lui avait dit en 1889-1890, une patiente : La baronne Fanny Moser. La baronne intitulée « Emmy Von.N. » dans les « Etude sur l’hystérie » dit à Freud qui s’apprêtait à pratiquer un massage : « restez tranquille, ne dites rien, ne me touchez pas. » Et, lors d’une consultation : « Ne dites rien laissez-moi parler. » Selon mon point de vue, ce sont ces paroles respectées par Freud qui sont la sève de sa géniale découverte.

Il n’est pas négligeable d’observer que Médard Boss ne mentionne pas les psychothérapies comportementales. Cet « oubli » ou cette décision sont peut-être à mettre en relation avec le début d’un « envahissement », lequel en 1983 pouvait apparaître comme négligeable et qui cependant allait devenir prépondérant. Les méthodes psychothérapiques, la psychologie, la psychiatrie ne sont-elles pas dominées à notre époque par les références comportementales ? Ces dernières ne dictent-elles pas la compréhension clinique et théorique du symptôme, au détriment du sens du symptôme ? Que ce dernier soit un délire, une dépression, une phobie, une compulsion, n’apparaît-il pas au cœur d’une existence singulière ??

 

DEUXIEME PARTIE
L’extension de la psychothérapie en largeur

Celle-ci se fit tout d’abord à l’intérieur de l’école psychanalytique elle-même. Je songe avant tout à l’école Américaine de l’Ego Psychologie. Celle-ci se donna également comme base la conception d’un psychisme primaire enkysté (eingekapselt). C’est en lui, c’est-à-dire intra-psychiquement bon, que se dérouleraient les processus. On croyait avant tout à l’existence de deux formations psychiques différentes et indépendantes l’une de l’autre. D’une part, des images conceptuelles d’objets du monde extérieur (Vorstellungs-Abbilder) et d’autre part, des affects, des émotions qui s’attacheraient à ces concepts mais pourraient de nouveau s’en détacher pour s’accoler à d’autres images conceptuelles. Un point d’ancrage pour la réalité de telles suppositions n’a pu et ne peut être prouvé par l’observation des phénomènes réels de l’existence humaine.

Le pas suivant le plus important dans le sens de l’extension en largeur, fut entrepris par Balint. Il contesta la conception freudienne d’un appareil psychique primordialement « hors-monde », d’une psyché d’abord auto-érotique ou totalement narcissique qui, secondairement seulement, étendrait ses pseudopodes libidinaux vers les objets du monde extérieur pour les « investir ». Balint des 1935 avertissait ses ces collègues en ces termes : « il nous faut enfin prendre au sérieux ce que nous avons tous trouvé… à savoir que dans les couches même les plus profondes de l’âme, accessibles grâce à la psychanalyse il existe dès l’origine des relations objectales ».

L’américain Sullivan alla encore plus loin. Il considérera l’être humain comme originellement composé de relations interpersonnelles. L’être humain, dit-il, n’est surtout qu’un produit des échanges primaires entre lui-même et ses semblables, même si ces échanges sont d’abord de nature totalement non réflexive et de forme purement empathique.

Assez proche de Sullivan, Erich Fromm, remarqua la signification du rapport spécifique de l’individu à l’environnement. Selon lui, les penchants les plus nobles comme les plus abjects ne sont pas des éléments d’une nature humaine fixée et biologiquement déterminée, mais l’effet du processus de sociabilisation qui modèle l’homme.

En transgressant le cercle de l’Ecole Psychanalytique au sens étroit Alder et C.G Jung poursuivaient le développement de la psychothérapie en largeur. Alder en soulignant les pulsions agressives, auquel Freud ne prêta attention qu’après les horreurs de la Première Guerre Mondiale. L’un des concepts nouveaux introduits par Adler fut ce qu’il appela :

« L’infériorité d’organe » et « la protestation virile ». C.G Jung étendit le concept de libido jusqu’à lui faire englober l’ensemble de l’énergie psychique. De plus, C.G Jung introduisit au-dessus de la cause de l’inconscient individuel ce qu’il appela « l’inconscient collectif » et considéra qu’il était le support des archétypes. Archétypes qu’il concevait comme des forces psychiques organisatrices et des modèles de comportement.

« L’inconscient collectif » de Jung, quoiqu’il prétende se situer à un niveau plus profond que l’inconscient individuel de Freud ne peut que difficilement être considéré comme un approfondissement de la psychologie et de la psychothérapie. Il s’agit sans aucun doute d’un développement en largeur (en extension). La preuve en est que l’inconscient collectif et les archétypes de Jung ne correspondent à aucun phénomène effectif (factuel) démontrable de l’existence humaine : ce sont des conclusions intellectuelles dans la conceptualisation d’un psychologue et des abstractions « hypostasiées ».

Ce qui est en droit d’être appelé développement en profondeur en matière de psychopathologie et de psychothérapie, ne pourra être abordé que plus loin. Auparavant, nous devons encore signaler qu’entre Freud et Adler s’intercale un troisième pionnier. Il s’agit de Szondi qui prit le risque de spéculer sur un « inconscient familial ». Peu après lui on assista au surgissement d’innombrables méthodes nouvelles, un peu à la manière des champignons dans la clairière humide d’une forêt. Rien qu’en Suisse à ce jour, il doit exister près de 200 méthodes de psychothérapeutiques différentes. Peu de gens seraient capables d’en énumérer seulement les noms.

Le point commun de beaucoup de ses méthodes est que leur inventeur n’a fait qu’isoler certaines particularités déjà mentionnées par Freud dans ses « conseils au médecin ». Ces particularités isolées du contexte sont alors promues au grade de seule vraie méthode. De telles « re-découvertes » se sont produites surtout chez les psychologues américains qui n’étaient pas en mesure de lire Freud dans sa langue d’origine. La plupart des autres « innovateurs » se référaient également à Freud mais avec un présupposé négatif. Tous s’accordent en ceci qu’ils placent la tête en bas un des principes de base de Freud.

Freud conseillait instantanément au médecin de maintenir dans sa totalité la cure psychanalytique dans les limites du champ psychique. Tous ceux qui transgressait ce champ devait être compris comme un « Agir » de l’analysant : tout « Agir » décelait une conduite de résistance à l’égard de l’analyste. Les patients, grâce à l’ « Agir » évitent la seule chose efficace pour la cure à savoir la remémoration des comportements infantiles envers leurs éducateurs ; au lieu de cela, ils se comportent encore actuellement envers leur analyste comme ils l’auraient fait autrefois dans leur enfance.

Bien des « innovateurs » en psychothérapie s’engagèrent dans un chemin radicalement opposé à Freud. Ils attachèrent de moins en moins de valeur à la remémoration et incitaient d’autant plus leurs clients à recourir à l’ « Agir ». Les contacts corporels qui en résultèrent entre le malade et le thérapeute et les autres membres du groupe, ainsi que la répétition des comportements du petit enfant, tel que le Cri Primal en passant par le biberon du nourrisson, par l’embrassement parental, jusqu’à la limite de rapports sexuels dans la promiscuité du groupe, gagnaient de plus en plus d’importance.

Mais il n’est pas douteux que par leur critique de la « réinterprétation » systématique de tout «Agir » comme conduite de résistance, tous ces « innovateurs » soulevaient un des points faibles de la doctrine freudienne. Car cela existe en effet. Il est peu contestable que bien des « Agir » représentent au contraire l’émergence chez l’analysant de comportements, jusque-là enfouis et désormais libérés. Mais par une réinterprétation qui les fige aussitôt comme résistance, ces conduites nouvelles risquent d’être étouffées et plus d’une cure analytique a de ce fait subi une fin prématurée. Mais bien plus fréquemment encore échouent les cures du fait d’un « Agir » sans limites des malades. Si le thérapeute n’impose pas au malade des limites à l’ « Agir », à l’endroit où son absolue liberté d’analyste à l’égard du patient pourrait être amoindrie, au point où sa stabilité, sa maturité et sa maitrise de soi viendraient à vaciller, la psychothérapie s’achève sûrement en un chaos, et l’analyste devient en fin de compte, l’objet privilégié de la haine de son ex-analysant.

A l’occasion de ses réflexions, je dois avouer en vérité quand dehors des méthodes analytiques de Freud et de Jung, Je ne me suis familiarisé qu’avec les techniques suivantes : le psychodrame de Moreno, le cri primal de Janow, le cri collectif de Casriels, la psychothérapie de Rogers, la thérapie de la forme de Ruth Cohn (Gestaltherapie), la logotherapie de Frankel : tout ceci le plus souvent par des contacts directs et personnels avec les promoteurs de ces méthodes. Je sais pas mal de choses sur d’autres groupes et groupuscules psychothérapeutiques, car depuis longtemps plus d’un de mes analysants a été recruté par l’animateur de l’une ou l’autre de ces écoles de psychothérapie.

Mes patients ont participé un certain temps à ces groupes, sans pour autant interrompre leur analyse avec moi. Très souvent, j’ai entendu parler des thérapies comportementales, familiales ou conjugales, de danse et de musicothérapie, ou de bio-énergétique. Tout cela m’était particulièrement précieux parce que ces analysants me permettaient de compter ce qui se passait dans ces méthodes « nouvelles » le plus souvent des psychothérapies dites « courtes », et d’autres part, la psychanalyse freudienne, ainsi que ma propre méthode d’analyse existentielle.

A l’heure actuelle, le développement de la psychothérapie en largeur (extension) a été si vaste que dans les pays développés il s’est répandu un magma d’innombrables thérapeutes dans lequel des milliers d’hommes et de femmes, à demi ou même pas du tout formés se livrent à leurs exercices. Ils commettent bien entendu beaucoup de dégâts inutiles, mais s’autodétruise plus ou moins vite eux-mêmes parce que leurs clients prennent simplement la fuite.

D’une manière générale, on peut noter dans toutes les innovations de la psychothérapie, une tendance à abréger la durée de la cure, souvent pour des raisons économiques. Un exemple frappant de cela s’est manifesté au Congrès International de Psychothérapie à Amsterdam en 1979. La plupart des intervenants, d’un grand nombre de pays, ont prétendu qu’une psychothérapie ne devait pas durer plus de trois semaines. Si pendant ce délai, ne s’est pas établi entre patient et thérapeute une relation affective chaleureuse, la psychothérapie serait contre-indiquée. De façon significative on a déjà trouvé un nom pour ces malades aptes à la psychothérapie : les « Quick Changers » (les changeurs rapides). En revanche, sur les autres appelés les « Long Changers » (les changeurs lents) il a été dit à ce Congrès que, même après 5 ans, on n’arriverait pas à développer cette relation affective chaleureuse qui serait un préalable nécessaire à tout résultat thérapeutique positif.

Même si on néglige la fausseté démontrable de cette assertion, on pouvait noter curieusement à ce congrès que les intervenants avaient les plus grandes difficultés à définir cette chaleur humaine si souvent invoquée comme nécessaire dans la relation thérapeutique.

C’est qu’en effet cette chaleur humaine à l’égard du prochain n’est pas mesurable avec précision. Dans la science, qui de nos jours s’identifie de plus en plus avec les sciences de la nature, n’a valeur de réalité que ce qui est mesurable. Tout le reste est pour elle une « illusion subjective ». Ce dilemme très sensible au cours de ce congrès illustre à quel point la psychothérapie elle aussi, succombe à l’esprit technique qui ne sait que calculer.

Les intervenants de ce congrès manifestèrent encore plus d’embarras en abordant la mesure du succès d’une quelconque méthode psychothérapeutique. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, car ce succès est du même ordre que ce qu’un slogan moderne appelle « la qualité de la vie ». Dans la visée technique des sciences de la nature, ce ne sont pas les « qualités » et mais exclusivement les « quantités » qui importent. Pourtant, sur cette question du succès des psychothérapies, nous préférons ne pas prendre position dès maintenant. Tout d’abord nous allons nous livrer à quelques réflexions sur le développement de la psychothérapie dans le sens de la profondeur. Pénétrer dans la profondeur d’une méthode psychothérapique veut dire ceci : interroger les présupposés conceptuels sur lesquels reposent sa pratique, en visant son adéquation à l’être humain et à la question de sa santé. Aucune science humaine ne peut progresser de manière ordonnée dans une bonne voie, si elle ne recommence pas inlassablement à remettre en question ses présupposés. Pour la psychothérapie également, cette constance plongée dans ses profondeurs ne se limite en aucun cas à une simple démarche théorique-scientique. Bien au contraire, des prémisses conceptuelles inadéquates ou truffées de préjugés, ont des répercussions certaines et dévastatrices sur la pratique.

 

 

Professeur Medard Boss

Zurich - *Rapport en langue allemande tenu à la réunion annuelle de Sociétés Suisses de Psychiatrie et de Psychothérapie médicale, le 26 septembre 1980, à Interlaken

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