DEVELOPPEMENT DE LA PSYCHOTHERAPIE AU XX° SIECLE – dernières parties

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REFLEXION D’UN PSYCHIATRE SUR LA CULTURE
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DEVELOPPEMENT DE LA PSYCHOTHERAPIE AU

XX° SIECLE - 3ème & 4ème parties

 

Introduction par Alain KSENSEE

 

TROISIEME PARTIE

Critique théorique des conceptions de Freud et Jung

 

Nous avons décidé de ne pas publier la troisième partie qui concerne, la critique des théorique des conceptions de Freud et de Jung. Pour deux raisons. Ces critiques appartiennent essentiellement aux psychanalystes et particulièrement aux psychanalystes « full time. » Médard Boss est avant tout un praticien de la Daseins Analyse telle que la conçoit le philosophe Martin Heidegger. La deuxième raison est moins importante car elle est liée aux contraintes éditoriales. Le lecteur intéressé pourra découvrir cette partie dans la bibliothèque des parutions.

Mais livrons au lecteur quelques bribes de cette troisième partie.

Les critiques de Médard Boss, mettent en question la méthode qui conduisit « Freud à une construction grandiose repliée sur elle-même. » Cette métapsychologie s’enracine dans la même philosophie cartésienne que les sciences de la nature traitant de la matière inanimée. » Mais sa critique va plus loin est demanderait une véritable discussion lorsqu’il montre que selon lui, Freud s’est dérobé à la règle de la vérification. Ce dont ne se prive pas de lui reprocher certains scientifiques. Nous considérons ce chapitre bien trop schématique et qui postule en fait une étude des propositions du philosophe Martin Heidegger. Le lecteur intéressé pourra consulter l’excellent article de Franz Kaltenbeck.

Le lecteur intéressé pourra ainsi discerner les enjeux des propos de Médard Boss. La lecture de cet article est une excellente introduction à la lecture passionnante du livre: le Séminaire de Zurich (collection Bibliothèque de Philosophie aux éditions Gallimard). Ce livre permettra au lecteur de prendre connaissance des fondements théoriques de la "Daseins analyse".

On ne peut que regretter entre autres l’absence de toute indication concernant la sexualité infantile. L’ignorance apparente mais effective des découvertes de D.W.Winnicott.

 

QUATRIEME PARTIE

Heidegger et la Daseins analyse

 

En revanche, la quatrième partie consacrée à la « Daseins-analyse » est peut-être la première fois qu’un auteur tente de nous indiquer la particularité de ce mode de psychothérapie. Un lecteur attentif ne peut que s’interroger, entre autres, sur ce que l’auteur veut signifier par le concept de « Soi ». Mais lisons ce chapitre qui a bien des égards est clair et didactique.

 

De notre côté, nous nous efforçâmes de développer les conceptions philosophiques de Martin Heidegger concernant la condition de base de l’être humain en essayant d’adapter ces conceptions à une théorie fondatrice de la psychopathologie et de la psychothérapie. Notre entreprise aurait-elle relativement réussi que le mérite en reviendrait avant tout à la collaboration personnelle de Martin Heidegger, qui s’étendit sur plus d’un quart de siècle.

La signification d’une pathologie existentielle nous semble résider en cela, qu’elle s’adapte mieux à la condition fondamentale de l’homme. Elle peut aussi constituer le terrain le plus ferme pour toutes les thérapies. C’est pourquoi selon moi une théorie orientée dans la perspective de la « daseins-analyse » peut constituer d’une fructueuse progression de la psychanalyse freudienne. Cette progression consiste d’abord en ceci qu’elle laisse intacte les découvertes concrètes et immédiatement perceptibles de Freud qui doivent être considérées comme absolument géniales. Elle ne change rien non plus à la règle fondamentale qui impose à l’analysant une véracité sans réserve ni ménagement. Mais elle peut aussi pallier aux effets nuisibles de la métapsychologie freudienne trop étrangère à la réalité et trop contraignante, et qui agit en retour sur la pratique, parfois de manière catastrophique. La « Daseins-analyse » peut en outre rendre caduques et scientifiquement plus conformes à la condition humaine. Les coups de force que la métapsychologie freudienne avaient fait subir aux phénomènes de l’existence de l’homme. En fin de compte, elle peut encore donner aux thérapeutes - ce qu’une théorie déterministe des sciences de la nature ne pourra jamais faire - à savoir un fil conducteur sûr, dans le maniement de sa technique, et lui rendre clair le sens de sa pratique thérapeutique et des motivations de son action. 
Dans la pratique de la thérapie analytique de C.G. Jung un très grand rôle est joué concrètement par la méthode de « l’amplification » et par celle de la « réactualisation » des modèles pathologiques des « Archétypes ». Le but est la découverte de soi ou « individuation ». Mais ainsi qu’il a déjà été dit Jung n’avait à sa disposition, pour fonder sa psychopathologie, que les conceptions de la philosophie néo-platonicienne de telle sorte qu’il ne pouvait saisir que d’une façon très vague et contradictoire les buts de sa thérapie, à savoir la découverte de soi ou individuation. La méthode dite de l’amplification peut donner au patient le sentiment apaisant de ne pas être seul au monde, avec ses problèmes. Mais cette même méthode recèle aussi le danger de détourner l’attention des malades de leurs interrogations les plus intimes et de leur responsabilité personnelle devant leur conduite, en faveur de divagations très éloignées dans le temps et dans l’espace. La « Daseins-analyse », par contre, rattache en sens inverse les analysant à leurs modes de comportement les plus personnels et les plus concrets de la vie quotidienne.

En outre, la psychopathologie existentielle, confère au thérapeute avant tout un regard plus assuré sur le jugement de ce qu’on a coutume de nommer le succès d’une psychothérapie. Le but du succès pour Freud était la réalisation de la pleine capacité de jouissance et de travail du moi. Le but de la thérapie analytique de Jung réside dans la découverte de soi ou « individuation ». Les méthodes ultérieures principalement les psychothérapies « agissantes » se tiennent pour satisfaites par la disparition des symptômes pathologiques les plus aigus et l’accès à des conduites satisfaisantes dans le cadre d’un environnement social donné. Cependant les promoteurs de ces méthodes ne peuvent arguer de l’excellence de leur succès que dans la mesure où leurs cibles thérapeutiques restent assez modestes. Par ailleurs, il ne faut pas méconnaître que ces méthodes qui nécessitent un contact corporel entre thérapeute et patient ainsi qu’avec chacun des membres du groupe, constituent une formation réactionnelle compréhensible contre la solitude affective croissante de l’homme dans une société technocratique de plus en plus froide.

Le peu d’ambition de toutes ces méthodes psychothérapeutiques nouvelles au regard de la pleine délivrance de soi d’un individu, réside en fin de compte en ceci qu’elles ont toutes pour fondement les métaphysiques cartésiennes ou néo-platoniciennes. Comme ces deux philosophies reconnaissent l’être humain dans son noyau essentiel, il faut bien que le but de ces thérapies demeure extrêmement vague et imprécis. Partout fait défaut une vigoureuse connaissance de la condition fondamentale de l’être humain. A ce défaut congénital des psychothérapies il ne pouvait être remédié simplement par une affluence de dénominations nouvelles données à l’existence humaine telles que : le moi, le psyché, le sujet, l’individu ou la personne.

Seule la « Daseins-analyse » essaie de poser les prémisses indispensables d’un sens et d’un but adéquat à toute thérapie et par là-même de donner à toutes les psychothérapies un solide fil directeur. Par souci de clarification elle remplacera d’abord les concepts historiques chargés d’obscurité tels que « psyché », « sujet », « personne » par celui de « Dasein » (être là), exclusivement réservé à l’existence humaine. En psychopathologie traditionnelle le concept de psyché était ou bien réduit à la représentation d’un appareil psychique ou bien considéré comme une donnée primaire, existant en soi, et originellement encapsulée quelque part dans un monde supposé comme cavité préexistante (welthohlraum).

Mais, à partir de cette perceptive, aucun phénomène de l’existence humaine ne peut être vraiment compris. Aucune acrobatie de la raison ne parvient à rendre compréhensible comment une telle psyché en tant qu’immanence primaire, pourrait s’échapper d’elle-même pour accéder aux objets du monde extérieur, et pourquoi d’ailleurs elle le ferait. Le point de départ de l’analyse existentielle (Daseins-analyse) en revanche est l’existence de l’homme telle qu’elle se pressente d’elle-même. Son but thérapeutique est la plus grande liberté possible de Dasein (être là) mais pour comprendre ce qu’il faut entendre par là, il est nécessaire de décrire avec rigueur le statut fondamental de ce Dasein humain.

La plus courte définition du Dasein de l’homme, du point de vue phénoménologique est la suivante : « dasein ist das sein des da » (l’être là c’est l’être du « là »). Ce « là » ne doit pas être réduit au sens vulgaire, à savoir la désignation d’un lieu particulier à l’intérieur d’une enclave du monde (Weltholraum). Le « Dasein » existe bien plus au sens littéral du concept « Ek-Stare ». L’ « Etre là » humain consiste en d’autre termes et d’après sa conception de base, en un « être-en-dehors » d’un « là », au sens d’un champ d’ouverture du monde.

Le Dasein humain « ec-siste » comme une capacité de percevoir largement ouverte au monde, sans objectivité, ni substantialité propre, tournée vers ce champ maintenu ouvert d'où viendrait s'adressait à lui toute chose insignifiante.

Ceci ne signifie une fois de plus rien d'autre sinon que le Dasein humain est, par essence, en rapport d’une manière ou d'une autre avec telle ou telle donnée (Gengebenheit) et trouve dans cet « être-en-rapport » (Bezogensein) son essence ordonnée selon l’espace.

C’est ainsi que l’ouverture du monde ontique, concrète, et parfois constatable du Dasein de l’homme, est aussi caractérisée par un autre trait essentiel ou « existentialité » à savoir son essentiel sentiment de la situation (Befindlichkeit) et son sentiment d’en être affecté (Gestimmtheit).

Ces états d’âme, ces affects, ces sentiments surtout, ne sont en fin de compte que des accomplissements « ontiques » du caractère ontologique fondamental « du sentiment de la situation » (Befindlichkeit).

Mais c’est cette dernière qui détermine elle-même la concrète ouverture au monde afin qu’en même temps, tout ce qui est dans un instant donné peut trouver l’accès au monde dans l’ouverture d’un Dasein face à ce qu’il rencontre devient temporel (Sich Zeitigt). Le Dasein de l’homme consiste, autrement dit, à ce lieu éclairci où apparaît et se déploie tous ceux qui doit être. C’est pour cela qu’il est sollicité. Cette tâche qui lui est imposée, son accomplissement est sa dette à l’égard de son propre « Dasein ». Mais la plus grande liberté possible d’un tel Dasein réside dans la libre disposition de l’accomplissement de toutes les possibilités rationnelles s’adressant à lui dans son ouverture au monde. Une telle liberté s’identifie simplement à la « Santé » de l’être humain. Toutes les maladies corporelles ou celles dites « psychiques », entraînent essentiellement une restriction de cette liberté. C’est pourquoi le but d’une thérapie existentielle (Dasein analytik) est toujours la restitution de la liberté originelle du « Dasein » qui lui permet de remplir son rôle de sentinelle envers tous ceux qui vient à sa rencontre.

Bien entendu, le Dasein de l’homme exprime encore bien d’autres caractères fondamentaux ou « existentiaux ».

Parmi eux, on pourrait évoquer, par exemple, la spatialité primitive, spatio-temporalité, ainsi que la capacité de rêver. Mais déjà, l’esquisse que nous venons d’ébaucher de la condition fondamentale (verfassung) du Dasein de l’homme nous suffit pour réaliser immédiatement à quel point sont caduques les innombrables suppositions et spéculations sur lesquelles se fondèrent jusqu’ici notre psychopathologie et notre psychothérapie. Nous pouvons désormais sans regret nous débarrasser, grâce à une compréhension plus adéquate de l’homme, non seulement de la notion d’un inconscient individuel ou collectif mais également de l’hypothèse d’images conceptuelles intrapsychiques avec les affects qui s’y attachent ou se détachent, ainsi que les théories compliquées de la réinterprétation des rêves.

La brève esquisse des traits essentiels ou « existentiaux » du Dasein humain, peut suffire à nous donner une évaluation correcte des résultats des diverses méthodes psychothérapeutiques et à les confronter entre-elles. C’est intentionnellement que nous rejetons ici le mot « mesurer ». Des résultats thérapeutiques ne sont mesurables que tout au plus dans leurs effets les plus périphériques. Pour l’essentiel par contre, Il s’agit d’améliorer des qualités non mesurables, d’élever ce qui est souvent désigné de nos jours du nom de « qualité de la vie ». Alors qu’il n’y a presque rien de plus vague que le concept de « Vie », on s’interroge plutôt dans la visée scientifique des résultats thérapeutiques sur le degré de libération par une thérapie. En définitive, on peut identifier l’état de santé d’un sujet à la libre disposition des diverses possibilités de comportement qui constituent son existence. Par contre, il y a maladie, à chaque fois que cette libre disposition est réduite de quelque manière. Le présupposé est ici ou là, que les possibilités de comportements dont dispose un individu ne sont pas le fait d’une transmission constitutionnelle inferieure à la moyenne. En tant que qualité les degrés de la liberté sont eux aussi, par essence, non mesurables. C’est pourquoi, Exiger des preuves exactement mesurables au sens des sciences de la nature pour les résultats d’une psychothérapie, reste déraisonnable et témoigne aussi bien d’une totale méconnaissance de l’affaire en cause, que de l’essence des sciences de la nature.

Les plus grands résultats thérapeutiques chez des hommes, dont la liberté était névrotiquement restreinte, nous les avons toujours constatés au cours de long processus, qui depuis Freud s’appelle « Psychanalyse », et que la Dasein-Analyse a su débarrasser des impuretés théoriques novices. C’est pourquoi il n’est pas rare d’entendre dire par des malades autrefois névrosés, qu’au fond leur naissance n’a seulement eu lieu ‘au cours de l’analyse. Naturellement, d’un autre côté, on fait assez souvent l’expérience, que tous les névrosés à la recherche d’une aide, sont loin de pouvoir bénéficier d’une telle cure. Des obstacles insurmontables à une Daseinsanalyse résultent parfois de banales circonstances extérieures : le manque de temps, les difficultés, les distances géographiques trop grandes. En outre, je me suis souvent heurté à des gens incapables de s’adapter à une cure par suite de prédispositions fâcheuses de leur Dasein. C’étaient des gens qui ne possédaient pas l’étoffe suffisante pour s’épanouir (Entfalten) dans une réalisation de soi autonome et créatrice. Ces gens chez lesquels une analyse proprement dite est contre-indiquée, je les appelle dans mon for intérieur les « sacs vides » ou les « tuyaux maigres » (magere schlauche). Ces gens sont mieux intégrés dans les groupes psychothérapeutiques. Ils ont visiblement besoin d’être en permanence stimulés par les autres membres du groupe. De telles stimulations extérieures sont seules capables de les mobiliser et parfois de les détendre. Occasionnellement, la méthode du cri primal et la psychothérapie de groupe ont pu se révéler profitables, chez des malades présentant des traits de caractère obsessionnels est gravement introvertis. Ces traitements réalisèrent chez ces malades, souvent très vite, un certain éclatement (Aufknacken) de leur pétrification. Néanmoins, cet éclatement ne fut jamais chez mes malades une authentique libération. Chez eux aussi il fut indispensable de poursuivre par une psychanalyse en règle, dans une classique relation duelle. C’est alors qu’on apprend régulièrement combien ces malades ont dissimulé de choses dans leur psychothérapie de groupe. L’abandon d’une cure analytique consécutive à une psychothérapie de groupe n’intervient que si le patient et son thérapeute ont placé suffisamment bas la cible de leurs objectifs. En outre, j’ai été frappé du fait que beaucoup des dirigeants de ces groupes psychothérapeutiques exerçaient une véritable dictature sur les membres du groupe, et qu’eux-mêmes pour ainsi dire vivaient à travers ces groupes sans parvenir jamais à rendre leur liberté aux participants. Cependant, Il y a des malades, à savoir tout ceux qui souffrent « d’avidité pathologique » (Suchtkrank) qui ne peuvent jamais avoir une existence autonome. Le « caractère avide » semble impossible à modifier par quelque traitement que ce soit. Ce sont des gens qui, toute leur vie durant ont besoin d’une satisfaction immédiate (instant satisfaction). Tout au plus l’objet de cette avidité peut-il s’échanger contre un autre objet. A la place de la bouteille de whisky ou de la seringue héroïne peut s’installer la permanence disponibilité du contact physique avec le thérapeute ou avec des membres du groupe. C’est sans doute pour cela que j’ai observé les meilleurs résultats chez des toxicomanes participants à des groupes autorisant d’intenses contacts physiques, et qui devaient nécessairement être suivis d’une admission dans une communauté A.A (Alcooliques Anonymes). Par ailleurs, la thérapie « Dasein-Analytique » étendit ses indications au domaine des cas limites (borderline) et de certains schizophrènes que Freud eût considéré comme incurables. De nos jours, beaucoup de ces malades parviennent à mener, en dépit de certaines restrictions, une existence extra-muros, dans la dignité, alors qu’avec les méthodes psychiatriques habituelles, ils auraient très probablement terminé leurs jours en végétant comme malades internés dans les oubliettes d’un service de chroniques d’Hôpital Psychiatrique.

 

Professeur Medard Boss

Zurich - *Rapport en langue allemande tenu à la réunion annuelle de Sociétés Suisses de Psychiatrie et de Psychothérapie médicale, le 26 septembre 1980, à Interlaken

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