REFLEXION D’UN PSYCHIATRE SUR LA CULTURE

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REFLEXION D'UN PSYCHIATRE SUR LA CULTURE

 

Il est assez difficile de se faire une idée de ce que l’on appelle culture. Il en est qui parlent de culture de masse ou de culture d’élite ; d’autres parlent de culture religieuse ou mathématique, de culture médicale ou artistique, de culture générale ou de culture historique. On pourrait dire ici quand dans cette extrême variété de choses qui peuvent être dites cultures il n’est en réalité question que de savoirs particuliers, voire d’éruditions singulières, et de leur application à une certaine analyse de la réalité. La culture ne serait alors que ce qui peut s’énoncer, se réciter, voire s ‘appliquer littéralement à quelque objet d’intérêt immédiat. Dès lors un singe, un perroquet ou un robot pourraient être dit cultivés. De fait, il est bien des hommes ou des femmes sachant que beaucoup en quelques matières et qui ne valent guère mieux. Ici se pose un problème critique aux sens étymologique du terme.

Édouard Herriot disait de la culture quelle est ce qui reste quand on a tout oublié. L'affirmation est joliment paradoxale, mais point fausse pour autant. Elle demande simplement d'être éclairée. La culture telle qu'elle transparaît au travers des façon d'être, des gestes et des mots, des sentiments et des réflexions appartient à l’inconscient, tel que l’a conçu Freud ; marquant chaque démarche en tout instant, Elle est souvent masquée, n’apparaissant que de façon incidente en sa réalité, révèle bien souvent par une démarche involontaire qui pourrait n’être qu'un acte manqué, mot, locution, référence renvoyant bien au de la du sujet traité. La culture n’est pas dans le savoir présent ni dans l’érudition manifeste. En ce sens elle est bien ce qui reste quand on a tout oublié, peut-être même surtout sur ce qu'il a pu oublier et qui demeure néanmoins, enfoui comme le germe d'une plante, mais capable de surgir de façon souvent inattendue. Ceci n’est jamais que l’histoire du lapsus qui ne doit sa célébrité qu’à son caractère parfois malencontreux. On pourrait dire, quitte à heurter, que la culture est évidente, n’est que l'expression d’un incessant lapsus, dans lequel au travers elle, se manifeste, de façon plus ou moins satisfaisante, l'inconscient de celui qui s'exprime. L’inconscient est le lieu de l'oublier, qui n'est jamais annulé, mais alors n'empêche pas de vivre. La culture pourrait être ce qui restent en l'inconscient de ce savoir et de cette érudition, sur lesquelles on en juge souvent, savoir et érudition, qui ayant été en leurs éléments profondément investis, marquent de ce fait actes et pensées de la personne, leur forme et leur développement.

Dès lors qu'on admet qu'elle appartient à l’ordre de l'inconscient, il faut admettre qu'elle obéit aux lois immuables de cet ordre. En l'inconscient se joignent ce qui est vécu, ce qui est imaginé, ce qui est dit, et ce qui est retiré de ce dit et de ce qui en est représenté. Le dit est inséparable de l'imaginaire ou du symbolique en ce qui les rend intelligibles. L'inconscient ne s'entend qu'au travers de ce dit quitte a se que secondairement valeurs de dire puisse être données à certains gestes ou certaines démarches. Ainsi la culture comme l'inconscient est d'un certain langage, de ses tournures, de ses métaphores, de ses métonymies, et surtout de l'autre qui a donné tout ce langage, fondement de l'inconscient, fondements donc de la culture.

Dès lors on peut parler de Culture chinoise ou hébraïque, celte ou latine, grecque ou tamoul. La référence à la culture prend un autre sens. Il n’est plus seulement question, acception la plus commune, d'un savoir acquis en telle ou telle discipline particulière, quelle que soit sa place dans l'évolution singulière de la personne. Il est question d'une certaine façon de penser, c’est-à-dire d'imaginer, de rêver, d’exprimer, commune à certains groupes humains où ces caractères de l'esprit se peuvent acquérir. Le principe d'organisation de ces groupes est variable, dans une faible mesure en fait. Ils s'organisent autour de la langue, de la religion, et de leur activité. Il est difficile d'ailleurs, sinon impossible de séparer ces termes. Mais là n’est point le propos. Il est en ceci que la culture appartient non à un individu, mais à une collectivité, restreinte ou étendue, dont les membres partagent un certain langage, certaines attitudes rituelles, dont le sens peut-être parfaitement oublié, ainsi de la croix sur le pain que l’on entame dans certaines familles incroyantes ; persiste la référence involontaire, Elle n'est plus légale, ni réglementaire, au mêmes mythes ou aux mêmes usages.

Ici la culture apparaît sinon comme une sorte de principe planificateur, au moins comme la marque d'une certaine unité. Ainsi pour être séfardin, ashkénaze ou d’obédience hassidique, les juifs n’en sont pas moins juifs en tout ce qu'ils sont. L'hébreu, même s’ils ne le parlent pas, demeure leur vocable commun. Qu'ils y croient ou non, existe pour eux de génération en génération, la référence au Talmud et à la Torah qui, ne sont pas seulement livres religieux mais règles écrites de toute la vie jusqu’en ses détails les plus intimes. Les musulmans, chiites, ou sunnites se réfèrent également au Coran, si différentes qu’en puissent être leurs interprétations, quittes à s’entre-tuer pour celles-ci. Vanité humaine d’avoir raison. On pourrait en dire autant des chrétiens, catholiques ou réformés qui se massacraient entre eux, mais au nom d’un même évangile qui singulariserait leur unité aussi profonde que méconnue. Quant aux païens de l’antiquité, il semble bien qu’ils ne se soient jamais battus pour des affaires de croyance. Les dieux gaulois se transformaient en dieux latins, et les dieux grecs en dieux romains, ceci quelles que soient les différences formelles qui les séparaient parfois. L'intolérance des chrétiens, qui n’admettaient pas les dieux des autres, est en fait seule à l'origine des persécutions. Mais c'est un autre problème qu’on pourrait parfaitement retourner à l'inverse. Reste que celtes, latins, germains ou ibères se retrouvaient unis en quelque façon en leurs mythes ou en leurs dieux et ce jusqu’à l’apparition du christianisme « je ne suis pas venu apporter la paix mais la guerre » dit quelque part l’Evangile.

La culture n'est pas le fait du langage, mais de ce qu'il porte d'idées, d'images et de mythes, appartenant de façon plus ou moins spécifique à un groupe humain particulier. Ses idées, ses images, ses mythes trouvent aliments et extensions, comme peut-être partie de leur naissance, dans le verbe, dans ce qui peut se dire où s’écrire, dans tout ce qu'il est convenu d'appeler sinon intelligence, au moins l'acuité intellectuelle. Mais il ne faudrait pas méconnaître que si l'intelligence existe et nourrit l’imaginaire, ce dernier existe aussi et nourrit l'intelligence. En fait, nul ne sait qui des deux est la mère de l'autre.

A part ça, je connais un couple de vieux Berrichons, ou plus précisément de vieux solognots, naïfs mais point niais et parfois d'une redoutable finesse. Ils sont totalement incultes aux yeux de tout le monde. Ils savent à peine lire, écrire ou compter. Ceci est ce qu'ils font de mieux parce qu'ils en ont comme tout le monde un incessant besoin. Ils ne lisent rien hors du journal local et des affiches des panneaux électoraux qui les laissent rêveurs, comme tout un chacun. De familles pauvres tous les deux, ils n’ont guère été à l’école. À douze ans, ils travaillaient. Ce qu'ils connaissent est bien évidemment le travail de la terre et le soin des bêtes. Mais ils connaissent bien d'autres choses encore en dehors des mésaventures de la vie. Ils ont toutes les histoires de sorciers ou de rebouteux, toutes les superstitions locales. Ils savent le gibier qu'ils prennent au piège, les arbres, les plantes, les champignons. Ils savent où et quand on peut allumer un feu sans risque et pourquoi le faire. Ils savent quand il faut tailler ou émonder. De tous ces savoirs, et la liste n’en est pas limitative, ils tirent un raisonnement d'une dialectique parfois curieuse, mais souvent valable en son résultat. Ce résultat qui peut, je l'ai dit, être sagace, semble le même quand il est appliqué au jugement des hommes et des situations, à l’appréciation des détours de la vie, que lorsqu'il est appliqué au parcours d'un lièvre ou d’un lapin, ou à l’endroit où il faut poser le collet. L'objet mis à part, les mots sont à peu près les mêmes. En tout ils savent regarder, reconnaître, lieux et traces, ruptures et détours ; en tout aussi ils savent se méfier et se garder des impressions. Ils ont le sens de ce qui est.

De ceci se pourrait déjà tirer qu’il n’est point de gens « incultes », comme on le dit trop facilement. Même les émigrants les plus pauvres, les plus démunis gardent quelque chose d’essentiel de leur racine, comme les esclaves noirs des Amériques ont gardé et exporté finalement, des traces profondes de leur culture. Il n’est que de voir leurs chants et leurs danses, pour dessiner ce qu’ils y mettent d’eux-mêmes. Mais deux vieux solognots ont également une culture, et sont bien plus proches de ses racines. Ils la tirent de leur mode de vie certes, mais surtout de l'entourage avec lequel ils la partagent. Certes leur culture n'est pas celle des vieux marxistes ou des nouveaux philosophes ; elle est différente aussi de celle des jeunes économistes et de celle des vieux hellénistes. Mais ils gardent ancré en eux les références d'un penser cohérent, non toujours dépourvu d'une poésie involontaire qui est précisément le fait d'une élaboration des images dans un groupe, au cours des temps, et ces images sont bien spécifiques. Au demeurant, qui dit poésie ne dit pas déraison. Le coran, ni les récits hassidiques, ni l’ecclésiaste, ne sont dépourvus de raison.

Au fond, il n'est peut-être pas si certain que la culture ne puisse ouvrir qu'à l'intellectuelle raison abstraite, ni d'ailleurs que celle-ci puisse ouvrir à tout ce qui est humain. La culture ne forme pas que l'intelligence détachée du mathématicien ou du lettré, du technicien ou du dialecticien. Elle forme aussi un certain sentiment des choses, parfois émouvant, qui pour n’être pas intellectuel, peut n’en être pas moins intelligent. Elle exprime est constitue en quelque sorte une certaine vision du monde fondée sur ce qui a été ressenti, sur ce qui a été vécu, et qui peut-être quelquefois secondairement intellectualiste. Autour de cette vision du monde s'organisent pour une grande part, et ce dès les premières perceptions, l’individu et son apparence : la personne, ce qu’il dit « moi».

Ici peut-être entre-t-on dans l'ordre psychiatrique. Mais ceci appelle quelques réserves. L'ordre psychiatrique est celui de l’anormal de l’esprit. Mais l’anormal ne se saisit qu'à travers une certaine idée, ou notion, ou concept, comme on voudra, de ce qui est normal. Or, ce qui peut-être normal dans une culture, c'est à dire dans un ensemble culturel donné, ne l'est pas nécessairement dans une autre. L’intensité quasi hystérique des manifestations de joueurs ou de joie d’une méditerranéenne ne saurait en soit l’inscrire dans l’ordre de la psychopathologie ; les mêmes manifestations chez une grande bourgeoise des pays du Nord poseraient plus de questions.

Autre chose encore : il ne faut pas me méconnaître que les clichés, les lieux communs, les jugements de catégorie qui sont les piliers quasi inébranlables de la sottise commune, appartiennent à l’ordre culturel. De même les idées reçues qui alimentent si souvent conversation et raisonnement témoignent elles aussi de leur sottise, font-elles ainsi partie du patrimoine culturel de chacun, et dieu sait, s’il est difficile de s'en débarrasser. Le « blanc » pour le chinois d'antan, et peut-être pour celui de maintenant, est un « barbare » ou un « chien étranger ». Évidemment le « blanc » ignore les 17 salutations et quelques autres coutumes de ce qui fut le céleste Empire. L'asiatique pour le « blanc » qui ne le connaît pas est un être faux, d'une intelligence perverse, redoutable À tout égard. « On ne sait pas ce qu'il pense ». Évidemment il n'a souvent pas les mêmes façons de manifester sa crainte, son désir ou son hostilité, voire sa bienveillance. Ceux, asiatiques ou blancs, qui rejettent ses idées qu'ils ont a priori sont obligés de se contraindre pour le faire ; ils savent que ces idées sont fausses, mais ils ne peuvent les empêcher de vivre en eux. Ces idées appartiennent à leur culture. Il faut pour un jaune avoir retenu quelque chose de ce qu'un blanc a pu lui donner dans son enfance, pour un blanc avoir retenu quelque chose de ce qu'a pu lui donner sa « congaï » quand il était petit, pour qu'ils puissent spontanément penser autrement. Ceci est en fait de culture aussi. Peut-être n'y a-t-il pas de culture parfaite.

Il est indéniable que la culture qui donne ses formes à la sottise les donne également à la folie, voire à la névrose. Il ne serait en être autrement et ceci pose sans doute quelques problèmes d'entendement. En chacune des cultures se trouvent mythes impénétrables, formes insolites de raisonnement, sottises particulières ; leur sens est impénétrable à l'autre étranger, qui ne sait pas. Il est alors vraiment très difficile de reconnaître le symptôme, d’identifier le signe et a fortiori de poser un diagnostic. Ceci serait le champ de la Psychiatrie Transculturelle. Mais une culture ne s'acquière pas dans les livres, mais après un très long temps de vie vraie, ou se mêlent sentiments et intelligence, dans le cadre de cette culture. Les diversités culturelles qui existent, et ne sont pas prêt de s'éteindre, en dépit du nivellement croissant des peuples et des gens, cette diversité rend bien lointaine l'idée d'une psychiatrie universelle. Il n’est que de voir les failles profondes qui séparent la psychiatrie des latins, de celle des anglo-saxons, ou plus près de nous la psychiatrie des Allemands de celle des Français, dans leurs théories et dans leurs démarches. Tous les hommes ne sont pas les mêmes ne serait-ce que du fait de la variété de leur culture. Ils ne seront jamais les mêmes. D’une certaine façon ; ce pourrait être décourageant si ce n’était si précieux.

 

Bruno Castets

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