PSYCHIATRIE HUMANISTE : L’Adamant et Kripton

LES PSYCHIATRES ET LA CULTURE
6 mai 2024
LES SCOPTES
29 mai 2024
LES PSYCHIATRES ET LA CULTURE
6 mai 2024
LES SCOPTES
29 mai 2024

HISTOIRES DE LA PSYCHIATRIE HUMANISTE

- A propos de l'Adamant et Kripton

 

L'année 2024 marque le centenaire de la naissance du grand réformateur de la psychiatrie institutionnelle italienne, Franco Basaglia. L'héritage de son travail sur l'organisation des structures d'accueil et de soins pour les patients souffrant de troubles mentaux a été, et est toujours, important en Italie. Il a été discuté, critiqué, rejeté, envié et imité dans de nombreux autres pays du monde.

L'homme et l'intellectuel Basaglia, plus encore que le psychiatre, a transmis l'incontestable nécessité de mettre en œuvre une approche innovante, basée sur une écoute attentive et la fourniture de soins adéquats, à l'égard de ces patients particuliers, condamnés à la stigmatisation et à la ségrégation sociale - jusqu’à la réforme qui porte son nom.

Son message a été reformulé et a trouvé sa voix à travers les images efficaces et touchantes de deux documentaires de 2023, l'un français et l'autre italien, qui ont reçu une attention considérable de la part des critiques, du public et même des professionnels du secteur psychiatrique.

Tous deux sont le fruit d'un long et patient travail mené par les réalisateurs au sein des institutions psychiatriques, avec les patients qui y sont accueillis et avec les opérateurs.

Le premier film, "Sur l'Adamant", réalisé par Nicolas Philibert, a remporté l'Ours d'or à la Berlinale 2023. Il est tourné dans un Centre de Jour pour adultes souffrant de troubles mentaux, centre construit en 2010 sur une plateforme flottante sur la Seine. Celle-ci a la forme d'un grand bateau, non pas abandonné sur le cours du fleuve, comme les Narrenchiffs du 15ème siècle, sur lesquels étaient embarqués les "fous" des villes d'Europe du Nord, destinés à errer loin des "sains d'esprit", mais, au contraire, solidement ancré à la berge. Le bateau est au cœur de Paris. Il fait partie de la ville, comme la folie habite l'humain ; elle en fait partie, et comme telle, elle doit être accueillie, écoutée, et ceux qui la portent doivent être pris en charge de la meilleure façon possible.

Les usagers s'investissent dans l'organisation de la vie quotidienne, participent à des ateliers de musique, de cinéma, de dessin, suivis par des opérateurs et des médecins particulièrement attentifs, avec les critères et les médiations traditionnellement utilisés dans la psychothérapie institutionnelle française.

Le deuxième film s'intitule "Kripton", qui signifie "caché" en grec. Il est réalisé par Francesco Munzi et a été présenté au Festival du film de Rome en 2023. La troupe, composée de seulement trois personnes, l'a tourné en cent jours dans deux communautés thérapeutiques psychiatriques de la banlieue de Rome, en se concentrant sur l'histoire de six jeunes patients. Il s'agit de séquences d'entretiens sous forme d'interviews, de rencontres et de séances individuelles entre thérapeutes et patients, de rencontres avec des membres de la famille et de dialogues entre différentes personnes, à divers moments de leur vie dans les communautés. Il en ressort des confessions, des récits de rêves, des théories sur le sens à donner à une existence qui apparaît souvent déficiente et source de douleur. Le spectateur fait également l'expérience de l'action thérapeutique des opérateurs, faite de capacité à s'approcher des gens et de leur manière d'être et, d'être au monde, en cherchant la rencontre au travers des mots.

Le montage comprend des séquences de films d'avant-garde, évoquant un sentiment de chaos et de désorganisation, et de films super8 amateurs, évoquant des souvenirs d'enfance. Ces images, interrompent la linéarité du récit, ponctuent et créent des associations, rappellent des souvenirs et activent des émotions et des sensations.

Le spectateur peut ainsi s'identifier aux protagonistes, ou à certains d'entre eux, et entrer en contact avec ce "krypton" caché en nous, l'inconnu, l'inquiétant, la part de folie, avec lequel nous devons composer pour trouver notre place sur la planète Terre et nous adapter à la vie.

Les deux films montrent l'importance non seulement des interventions techniques (traitements pharmacologiques, psychothérapeutiques, psycho-éducatifs et psychosociaux), mais aussi des longs délais nécessaires à ce type de parcours de réadaptation qui dépassent l'urgence. Des temps qui exigent de l'attente, du tact et de la patience, et qui sont marqués par des "actions parlantes", comme les a définies Racamier (1997).

Il s'agit d'œuvres à fort impact émotionnel qui, sans dramatisation ni rhétorique, en s'appuyant sur l'empathie et le pouvoir de la vérité, secouent les consciences et apportent des connaissances à l'opinion publique et au débat culturel.

 

Drs Elisabetta Marchiori et Lenio Rizzo

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *